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Le premier « bébé-éprouvette » tunisien a 20 ans
L'autre façon d'être moderne (avec le Dr Elyes Ben Miled)

Le premier « bébé-éprouvette » tunisien est né il y a 20 ans, à Tunis. En marge du Congrès méditerranéen de santé de la reproduction, nous envisageons avec le Dr Elyes Ben Miled, premier initiateur de la procréation médicalement assistée, cette autre façon d'être moderne en Tunisie.

Le 21 mars 1988, jour de la fête de la jeunesse et du printemps, naissait à Tunis, d'un couple porteur d'un grand désir d'enfant - et, à l'époque, d'une sorte de deus ex machina, le Dr Elyes Ben Miled - un garçon. Les parents le prénommèrent Elyes, par remerciement et, pour ainsi dire, par une sorte de transfert de paternité : d'une certaine manière le Dr Ben Miled n'est-il pas le père « symbolique » de ce jeune homme de 20 ans, étudiant en architecture à Paris, avec qui il est toujours en contact. Mais il y a bien d'autres Elyes, nés comme lui, de cette nouvelle technique de procréation médicalement assistée (PMA) et du même « père » symbolique.

Le Dr Ben Miled a été formé à l'hôpital Tenon de Paris par le Dr Jacques Salat-Baroux qui lui avait confié une partie de son nouveau service ad hoc. La PMA venait de connaître en 1982 à l'hôpital de Clamart, dans le service du Pr. René Friedman, son premier succès : la naissance d'Amandine. Aux États-Unis, en 1978, le Pr. Bob Edwards, exilé d'une Angleterre réticente à cette innovation, était le premier à en ouvrir la voie. Il est l'invité d'honneur du Congrès méditerranéen de la santé de la reproduction qui se tient à Hammamet du 15 au 18 mai 2008.

La Tunisie a donc réussi une première naissance in vitro, 10 ans après les USA, 6 ans après la France. On rappelle que le droit à l'avortement fut donné aux Tunisiennes 10 ans avant les Françaises, et le droit de vote, 10 ans seulement après elles.

C'est donc souligner la modernité de la Tunisie dans un domaine où l'on pourrait imaginer qu'une religiosité plutôt rigoriste fleurissant sous nos cieux, les autorités islamiques et la pression sociale pourraient freiner de tous leurs fers.

Pas du tout, corrige le Dr Ben Miled, car la procréation médicalement assistée ne se pratique que dans le cadre du couple légitime, le Coran fixant la règle de la filiation légitime, à telle enseigne d'ailleurs qu'en Tunisie, la reconnaissance légale de l'adoption et celle du droit de l'enfant naturel à porter son patronyme apparaissent comme des avancées d'une modernité remarquable ou - à d'autre yeux - une transgression.

À l'égard de la PMA, l'Islam - nous précise le Dr Elyes Ben Miled - ne voit pas l'intervention technique du médecin comme « contre nature », puisque la religion définit la procréation comme le rapprochement des gamètes (on devrait dire des semences), ce que se contente d'activer le médecin. Au contraire, le Catholicisme définit la conception sur la base du rapport sexuel conjugal.

Voilà ce qui fait l'acceptation par des couples tunisiens de la PMA. Ils la réclament eux-mêmes, tant l'infertilité est mal vécue, nous précise le Dr Ben Miled, et c'est à ce niveau que les archaïsmes sociologiques perdurent : la femme ne s'accomplit que dans la maternité et l'homme en engendrant, si possible un garçon.

Du reste, de nouvelles techniques de sélection des spermatozoïdes ou de l'embryon dans les tous premiers jours, peuvent conduire à favoriser la naissance mâle.

Le Dr Ben Miled y a-t-il été confronté ? Cela peut se faire sous d'autres cieux, mais lui se refuse à discriminer à ce stade les embryons au motif qu'ils donneront des filles.

L'infertilité en Tunisie atteint 15% des couples, ce qui reste dans la moyenne mondiale. Bien que la PMA soit coûteuse (3 000 dinars environ) - mais l'intervention est remboursée par la Caisse nationale d'assurance maladie - il y a une très grande demande en Tunisie où elle est pratiquée dans les secteurs public et privé. Sur 2000 à 2500 interventions par an, quelques 600 naissances aboutissent, soit le quart environ.

Non, souligne le Dr Ben Miled, il n'y a pas davantage d'infertilité, bien que l'on assiste - à l'échelle mondiale - à une régression de la production de spermatozoïdes (baisse en nombre et vitalité).

Sans doute faut-il incriminer les facteurs environnementaux, l'abus de pesticides dans l'agriculture, la consommation d'hormones ingérées par les femmes (sous forme de pilule contraceptive) puis évacuées dans les urines qui contaminent l'eau (malgré le traitement des eaux). Enfin la stérilité masculine est causée par certaines ondes, dont celles émises par les téléphones portables et par la mauvaise habitude masculine de garder l'ordinateur sur les genoux, ce qui induit une source de la chaleur sur les testicules.

Mais que font les couples tunisiens victimes d'une infertilité résistante à toutes les thérapeutiques ?

Il n'y a jamais de véritable azoospermie, nous précise le médecin, et la micro-injection arrive aujourd'hui à aller chercher jusqu'au dernier spermatozoïde valide. Dès lors, les banques de sperme (interdites en Tunisie) ne trouvent plus clients à l'étranger. Aussi, les couples tunisiens n'ont plus aucune raison d'aller chercher dans ces banques (comme nous le confiait un andrologue tunisien il y a quelques années) du « sperme de Musulman », de la même manière qu'on sélectionne sur des critères anthropométriques (yeux bleus, grande taille...) !

Par contre, les femmes qui ne peuvent produire d'ovocytes sont appelées à faire du « tourisme médical ». Ainsi, les Tunisiennes irrémédiablement stériles vont chercher en Ukraine, en Espagne ou au Liban (dans des cliniques chrétiennes) des ovocytes frais de jeunes femmes.

En Tunisie, la loi datant de 1982 l'interdit, mais même avant cette date, les jeunes Tunisiennes ne se sont guère adonnées à ce commerce qui fleurit désormais sur Internet. Le coût de ce tourisme, pour tout un package d'ovocyte suivi d'une PMA, coûte environ 3 000 euros.

Sans doute sommes-nous encore à mille lieux des mères-porteuses, mais la recherche médicale pourrait parvenir par clonage de cellules souches matures prélevées dans le tissu adipeux à reconstituer des ovocytes maternels.

Voilà l'apport d'un Congrès méditerranéen de médecine de la reproduction où les scientifiques tunisiens et les couples malheureux ont tout à gagner de technologies innovantes étrangères, fussent-elles venues d'Israël [1] !

Notes

[1] Voir notre autre article publié ce jour : « Autour d'un appel au boycott du congrès méditerranéen de la santé de la reproduction. Faut-il s'opposer à l'invitation de savants israéliens en Tunisie ? ».

 

Nadia Omrane. 14 mai 2008
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