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Un pacte pour l'immigration aux fondements de l'Union pour la Méditerranée
Une politique humiliante, « inhumaine et devenue dangereuse », jusqu'à quand ?

Au moment où nous mettons en ligne cet article, les ministres de l'intérieur européens viennent d'adhérer à un Pacte commun sur l'immigration proposé par M. Brice Hortefeux à Cannes le 7 juillet. Ce texte, compromis flou, sera ratifié en septembre par les chefs des 27 États de l'Union. Voici l'ossature de la nouvelle politique européenne commune de contrôle des frontières, fondée sur l'expulsion massive des sans-papiers et sur les razzias contre les embarcations clandestines d'étrangers, en échange d'une immigration de travail à prix cassés sur le territoire européen, de travailleurs très qualifiés et d'hyper diplômés venus du sud.

Président de l'Union européenne depuis le 1er juillet, M. Nicolas Sarkozy se propose de faire signer par ses homologues un Pacte commun sur l'immigration. Faudra-t-il rectifier en un Pacte contre l'immigration ? Déjà le Parlement européen n'a-t-il pas ratifié une scandaleuse Directive du retour rebaptisée plus justement Directive de la honte [1] ?

Cette orientation recommande à tous les États européens de pénaliser les immigrants en situation irrégulière, en les enfermant dans des centres de rétention pour un délai de 6 à 18 mois et d'assortir leur expulsion d'Europe d'une interdiction de séjour de 5 ans. Même les mineurs non accompagnés ne sont pas épargnés !

Certes, il faut bien une homogénéisation de la règle de circulation, dans un espace Schengen élargi à 27 États qui ne sauraient tolérer un manquement à la loi. Pourtant, à propos de ces sans-papiers, reconnaissons que si quelques poignées peuvent relever plus d'Interpol que d'une gestion sociale de l'immigration, le plus grand nombre - ils seraient 1 million à séjourner illégalement en Europe - sont les victimes de la misère de leurs pays d'origine, de l'incurie de leurs gouvernants et de réseaux de trafiquants.

Mais une fois stabilisés tant bien que mal, ils contribuent en Europe à la croissance nationale, les économistes chiffrant à 0,1% de croissance par 50 mille travailleurs immigrés la part de ces pauvres déplacés dans l'enrichissement des pays qui les rejettent ! Ils paient aussi leurs charges et impôts et leur régularisation massive en Espagne ou en Italie, si parcimonieuse et au cas par cas en France, ne contribue pas selon les spécialistes à un appel d'air. Ainsi, un sociologue observait récemment que les immigrants marocains et sub-sahariens en Espagne n'étaient pas arrivés par les Canaries ou par Tanger, comme leur congénères récemment régularisés, mais d'Amérique latine par le port d'Amsterdam ! L'affaire des sans-papiers dans la restauration française justifie la présence de ces cuistots et plongeurs en eau pas si trouble que cela, puisqu'ils sont bien visibles dans l'île de la Jatte à Neuilly. Dans le bâtiment aussi, les immigrants forment une main d'oeuvre à bas coût, déplaçable au gré des chantiers et l'Espagne leur doit son boom de l'immobilier.

Ce dernier exemple illustre et explique les raisons économiques et non juridiques (le respect de la loi), encore moins faussement humanitaires (la protection de ces pauvres hères contre le trafic des passeurs), enfin en aucun cas philanthropique (récupération par les pays du Sud d'une main d'oeuvre plus qualifiée par son stage en Europe), bref, les véritables raisons du glissement de la tolérance envers une immigration clandestine à la régulation d'une immigration choisie : l'Europe a toujours besoin d'immigration, mais les aléas de la prospérité ou de la crise en déterminent le niveau.

Même la droite européenne, fût-ce sous la menace sécuritaire, n'a jamais plaidé en faveur d'une immigration zéro. Pour un continent vieillissant et qui a besoin d'une jeunesse vigoureuse pour se reproduire et surtout salariée pour payer les retraites de ses seniors, il faut de nouveaux bras sur le marché du travail.

Les secteurs cités plus haut ont grand besoin de cette main d'oeuvre, de même qu'est requis un personnel de soin, d'assistance et de proximité. La France, pour parler d'elle, aurait besoin d'ici 2012 de 300.000 nouveaux immigrants.

Mais la crise économique tasse aujourd'hui la demande qui, jusqu'ici, permettait de fermer les yeux sur la clandestinité. Ainsi, la crise de l'immobilier rejette aujourd'hui en Espagne les maçons maghrébins et africains tolérés sur les chantiers jusqu'à présent.

« Le renard dans le poulailler »

La solution apparaît dès lors de désengorger la demande pléthorique clandestine dans des secteurs à besoin de main d'oeuvre et d'aller cueillir celle-ci en ses plus beaux états, sur place au Sud. Cela s'appelle aussi aller faire son marché de consommateur chez le producteur.

Mais qu'en termes triviaux ces choses-là sont dites alors que, sur le site électronique de l'ambassade de France, les protocoles de cet « échange concerté » (avec qui ?) et les liens vers la « Carte compétences et talents », vers les installations professionnelles et vers l'immigration saisonnière, fournissent des renseignements utiles sur la procédure de visa. On y apprendra - c'est important - que les compétences étrangères pourront partir en famille pour un séjour de 3 ans renouvelable une seule fois. Ceci est un bon point, quand on connaît les affres du regroupement familial. Mais on note aussi que les candidats devront accompagner leur dossier d'un projet élaboré de retour dans leur pays, où ils sont censés faire fructifier l'expérience acquise en Europe. On apprendra également que, selon le degré de diplôme, une expérience professionnelle plus ou moins longue est requise : 5 ans pour la Licence, pas d'expérience pour un Doctorat. On apprendra de plus qu'un travailleur de longue expérience dans les secteurs demandeurs en France pourra s'y installer au même titre qu'un petit patron détenteur d'un capital de 300.000 euros minimum et susceptible d'ouvrir une PME offrant 2 nouveaux emplois au moins. On apprendra enfin que les travailleurs saisonniers pourront partir pour un séjour de 6 mois renouvelable s'ils ont donné satisfaction. Les compétences les plus sollicitées sont les médecins et chirurgiens, gynécologues obstétriciens, ophtalmologues, chirurgiens dentistes, médecins anesthésistes, ainsi que des infirmiers de haute qualification. Les informaticiens et les experts en services financiers (audits bancaires dont on a tant besoin chez nous) sont également convoités.

L'ANAEM (Agence nationale pour l'accueil des immigrants), rue de Khartoum, encadre les demandeurs. Toutefois, ceux-ci ne se bousculent pas puisqu'en 6 mois, sur quelques dizaines de candidatures, seuls 17 jeunes gens sont partis. Car ces jeunes diplômés ne sont plus trop attirés par les mirages de la Ville lumière. Ils en savent les attraits et l'épanouissement qu'ils pourraient en tirer, mais ils en connaissent aussi la galère, le racisme, et ils se sentent plus utiles au chevet de leur pays malade d'un développement dévoyé et de tyrannies. Les médecins, particulièrement, savent qu'ils seront déclassés et sous-payés, à qualification égale et travail égal, par rapport à leurs confrères européens exerçant en France. On notera en effet, à titre d'exemple qu'il y a davantage de médecins béninois dans l'Ile-de-France que dans tout le Bénin et l'ONG Oxfam attire l'attention sur le dépeuplement programmé de l'Afrique de près d'un million de cadres par cette hémorragie « choisie » ! Car la principale critique de ce refus de partir concerne l'impudence avec laquelle « le renard vient (s'ébaudir) dans le poulailler ».

Nos jeunes connaissent la fable : de l'immigration choisie, ils ne font pas tout un fromage ! Bien loin de nos gouvernants qui boivent comme petit lait les promesses de Nicolas Sarkozy et bien loin de nos opposants politiques qui les analysent en termes de « siphonage » de la substantifique moelle du pays, la jeunesse tunisienne se demande quelle mouche la piquerait au point d'abandonner un pays où ils se sentent de plus en plus retenus par une forme de qualité de vie : consommation sous toutes ses facettes (loisirs culturels et sportifs, voyages organisés au bout du monde), accès facile à la propriété, travail moins harassant (le Parlement français vient de prévoir 235 jours/an de travail pour les cadres sur au moins 41 annuités) et perspectives de carrière auprès d'investisseurs du Golfe : Dubaï arrive, la France, l'Europe ont raté le coche !

Comble de l'arrogance, la France plaide aujourd'hui, par la voix de Brice Hortefeux, pour un contrat d'accueil qui exigerait du postulant à l'immigration une forme d'adhésion à l'identité française ! Quel aplomb, mais à la pré-signature à Cannes le 7 juillet du pacte sur l'immigration par les ministres de l'intérieur des 27 États européens, Brice Hortefeux, VRP de la cocarde tricolore, a dû retirer son contrat d'accueil et d'intégration !

Quant à l'aide au retour promise pour se débarrasser des importuns qui s'incrusteraient en France, elle se résume bien souvent à quelques centaines d'euros avec un plafond de 5000 euros et un parcours d'obstacles semé d'un relevé de données biométriques pour ficher les bénéficiaires de cette aide au retour [2], « définitif » s'entend !

Voilà donc remise en perspective cette nouvelle politique d'immigration, ce pacte prétendument concerté qu'un député français, à la séance du 26 juin de l'Assemblée nationale, qualifiait de « politique inhumaine et devenue dangereuse ». Entre temps, en effet, le drame du centre de rétention de Vincennes a pointé l'enfermement dans des conditions insalubres et indignes, même si les centres français apparaissent comme la vie de château au regard par exemple des centres de Malte, voire des centre des pays du Sud auxquels se délègue la rétention administrative (il y en aurait 7 en Tunisie). Voilà ce qui fait répondre à une Union pour la Méditerranée (qui aurait un tel fondement) par une Méditerranée des luttes [3].

Entre ces deux excès, ira-t-on jusqu'à s'affronter dans cet espace de paix où le Sud a - car il nous faut être lucide sans être dupe - tout à gagner d'être arrimé à la rive Nord ? Le processus de Barcelone se clôt dans un échec mais tout reste ouvert pour la future Union pour la Méditerranée.

Notes :

[1] Voir le site consacré à cette Directive à: http://www.directivedelahonte.org

[2] Lire à ce sujet l'article de Meryem Marzouki paru dans la revue Plein droit, n°76, mars 2008, p.24-26 : « Biométrie : corps étrangers sous contrôle ». Disponible en ligne à http://www-polytic.lip6.fr/article.php3?id_article=221.

[3] Voir la Déclaration commune d'un certain nombre d'associations et de syndicats dont, pour la Tunisie, l'ATF (Association des Tunisiens en France) et la FTCR (Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives) : « Pour une Union méditerranéenne des luttes pour la paix, les libertés et la justice sociale ! ». Disponible en ligne à http://www.demosphere.eu/node/8754.

Nadia Omrane

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