Alternatives citoyennes
Des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Juillet 2008
Emburqanisation d'ici et d'ailleurs
Quels risques présente l'affichage de « trop » d'Islam ?

Aux épreuves du diplôme d'aptitude à la langue française (DALF), session été 2007, une étudiante tunisienne se voit interroger sur un article du journal Le Monde portant sur l'évolution des espèces. La jeune fille développe la controverse autour du darwinisme/créationnisme mais, interloquée, se trouve contrainte de répondre à la question suivante : « Et toi Fatma (ce déjà marqueur identitaire est bien son vrai prénom), dis franchement ce que tu crois être l'explication juste ». Tremblante à la pensée d'avoir mal fait, elle me confie ensuite qu'elle n'avait pas « triché avec sa foi » : Dieu a créé l'homme et la femme. L'examinatrice ne la pénalisera pas d'autant que dieu merci Fatma, étudiante en Finance, s'apprêtant à la vie parisienne, est tout à fait au top du look branché et plutôt dénudée par ce joli Mai.

Etudiant en droit, intéressé à un master à Perpignan, Arafat (c'est aussi son véritable prénom !), entreprend le même parcours d'obstacles pour décrocher son visa. Mais, originaire de Metlaoui, un peu gauche mais s'exprimant aussi correctement que Fatma en Français car son père enseigne la langue de Molière, il aura beaucoup moins de chances. La langue française est l'outil indispensable pour décrocher un visa, une des conditions d'un futur contrat d'accueil et d'intégration ; sa non maîtrise est l'obstacle incontournable pour toute demande de nationalité française. Toutefois, l'allure générale et la tenue vestimentaire sont au principe d'un bon comportement en société française. Et de ce point de vue, contrairement à Fatma, Arafat est disqualifié.

Dans les services publics français, une loi de 2004 interdira le port de signes religieux ostensibles, ciblant essentiellement le voile. Et voilà que le 27 juin 2008, un Arrêt du Conseil d'État [1] confirmera une sentence de refus d'accorder la nationalité française à une marocaine de 32 ans : Faïza, mère de 3 enfants nés en France (mais cela ne change rien à l'affaire) et épouse d'un citoyen français de confession musulmane salafiste (c'est-à-dire très rigoriste), porte en effet la burqa, ce vêtement afghan qui ne laisse entrevoir qu'un filet de regard ! C'est, pour le Conseil d'État soucieux d'éviter l'accusation d'atteinte à la liberté de conscience, une transgression de ce que doit être un bon comportement en société laïque, au fondement de laquelle se trouve l'égalité entre les sexes. Car Faïza avoue aux experts juridiques qui l'ont interrogée une « soumission totale » à son mari et aux hommes de sa tribu. Un juriste plein de bons sentiments, (Jean Baubérot, École Pratique des Hautes Études) objecte la « ruse » par quoi les femmes musulmanes se dérobent à la soumission [2]. Comme si la ruse faisait de ces femmes des égales en droit et de fait de leurs congénères ! Le même intellectuel, considérant que l'Islam se trouve ainsi stigmatisé, le disculpe en avançant pêle-mêle des contre-exemples pris dans d'autres religions et idéologies : des Carmélites italiennes toutes de voiles vêtues (mais elles le sont dans leur couvent, par choix en tant qu'« épouses » du Seigneur) et jusqu'à certains ordres, clubs, confréries non mixtes de Francs-maçons etc., comme s'il s'agissait d'équivalents de l'inégalité de genre (homme/femme), dans les sphères publique et privée, telle que l'a prescrit le Salafisme.

Non, il n'y a pas à tortiller du derrière et il faut marquer dorénavant la ligne rouge au-delà de laquelle se refusent aux femmes l'égalité et la liberté au nom d'un tout-islamique. En quoi une femme dont on n'apercevrait que la pupille pourrait-elle se faire identifier et reconnaître comme un individu singulier, une citoyenne à part entière dans le quotidien, une électrice dans la République ? Toute sa posture fait d'elle une anti-Marianne, dans ses valeurs essentielles. L'une des vertus principales qui « configure » cette Faïza et ses clones réside dans l'absolue dévotion de son corps à son époux. C'est aussi parce qu'elle aurait « menti » sur la virginité de ce corps qu'une jeune femme musulmane de Lille a vu son mariage annulé, à la demande de son époux, par une juridiction française.

Du strict point de vue de l'exercice du droit, il n'y a rien à redire à cette décision qui reconnaît la liberté individuelle de choix (ici la liberté de l'époux, citoyen français, de choisir une compagne à sa convenance, selon ce qu'il appréhende comme qualité essentielle d'une femme). Mais quelle humiliation pour les musulmanes modernistes, ayant évolué au fil de l'Ijtihad, que cette représentation de convictions rétrogrades, prêtées à tort à l'Islam : le problème n'est pas dans l'exégèse d'une religion qui, comme tout corpus comportant des prophéties et doctrines accumulées au cours de l'histoire, fonctionne - que les croyants nous pardonnent cette expression - comme une auberge espagnole où chacun trouve ce qu'il y apporte lui-même !

Bien que les deux affaires (burqa/virginité) soient distinctes, elles fonctionnent dans la perception collective immédiate, comme un révélateur et un marqueur d'une pratique religieuse musulmane très discriminatoire pour les femmes. Depuis le mois d'avril, d'autres affaires telles celle d'horaires et de bassins de piscines non mixtes dévolus aux femmes musulmanes et celle d'une compétition de handball entre femmes musulmanes dans un stade fermé aux hommes, alimentent cette représentation négative d'un Islam obscurantiste.

Trop, c'est trop, et l'affaire de la Burqa c'est encore trop d'Islam qui prétend dans son excès rigoriste fondamentaliste d'un tout-islamique cohabiter avec une citoyenneté française laïque. C'est encore ce trop d'Islam dont les ouailles s'ingénient à marquer par leur comportement leurs différences identitaires tout en revendiquant l'assimilation indifférenciée.

Les Musulmans, tout en aspirant à être ou à devenir européens (le jour où une loi commune fixera les critères d'une intégration réussie) ne peuvent vouloir, en même temps, l'excès d'un affichage identitaire confessionnel d'une part, d'autre part la citoyenneté française laïque et le sourire de la crémière républicaine ! Car c'est à un choix d'une seule et même communauté de valeurs en société qu'ils doivent se résoudre.

De l'autre rive, nous connaissons les risques de ce terrain piégé où le rigorisme voudrait enfermer les esprits libres et le mouvement d'émancipation d'une société mixte : débats interminables et surtout grignotage de pans entiers de la société sous une pression puritaine insidieuse. Car de proche en proche, se couvrent les plages de femmes fantômes noirs de la tête aux pieds ; épaules et jambes suent sous des voiles épais ; et une jeune fille à la jupe aux genoux s'entend hurler par une conductrice qui veut la renverser : « je vais t'acheter un bout de tissu pour te couvrir ! ». Ne parlons pas de la crainte fantasmée qui rallonge la liste des bigotes : c'est la menace de l'arme blanche plantée dans une épaule bronzée qui se montrerait trop nue!

Mais il y a bien pire scandale : La communauté enseignante, féministe, démocratique, vient de s'émouvoir de l'exclusion arbitraire d'une étudiante de la salle d'examen d'une faculté de Nabeul, au motif qu'elle avait les épaules découvertes, épaules qu'un enseignant couvrit de sa veste d'homme pour que la jeune fille puisse passer son épreuve. C'est au ministère de l'enseignement supérieur de la République du code du statut personnel (et d'une majorité de filles dans l'enseignement supérieur, ainsi que d'une majorité de filles lauréates de la journée du savoir) de procéder à une enquête et de sanctionner l'enseignante-censeur en hijeb qui c'est autorisée cette pénalisation parce qu'elle voudrait voir toutes les Tunisiennes à son image !

D'ici et d'ailleurs, en phase avec le Conseil d'État français, refusons l'emburqanisation des femmes musulmanes, françaises ou autres, parce que nous refusons leur enfermement, leur enterrement, leur ensevelissement sous une domination venue de la nuit des temps.

Notes :

[1] Consulter le texte intégral de cet Arrêt : http://www.conseil-etat.fr/ce/jurispd/index_ac_ld0820.shtml

[2] Lire l'analyse de Jean Baubérot sur son blog : http://jeanbauberotlaicite.blogspirit.com/archive/2008/07/14/index.html

Nadia Omrane

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