Alternatives citoyennes
Des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Septembre 2008
Face à face Obama-Mc Cain
Sommes-nous véritablement tous Américains ?

Vendredi dans la soirée, à l'aube de samedi dernier pour notre fuseau horaire, s'est déroulée la première confrontation télévisée des deux candidats à la Maison blanche. Étions-nous à ce moment là, comme le qualifiait une américanologue, véritablement « tous Américains » ?

Certes, la curiosité, l'attente, l'espérance même de ce que pourrait devenir la prochaine présidence de la première puissance du monde, pouvaient-elles justifier cette posture unanime, tant il est vrai qu'il se dessine, en la personne de chacun de ces deux challengers, une vision duelle et différente de l'American dream. L'un, chenu, galonné, discipliné, droit dans ses bottes, est dans la continuité de son magistère militaire, enseignant à l'autre « qui n'a pas compris », qui « n'a pas encore réalisé », sa propre expérience d'homme de terrain. L'autre, juvénile en regard, prétend promouvoir pourtant une « plus large vision » de l'avenir. N'est-ce pas cette projection plutôt que sa couleur pain brûlé, si peu habituelle - malgré les Colin Powell et Condoleezza Rice - dans cet aire de domination blanche, qui le tient dans une parenté, comme un demi-frère de ce monde d'en bas, un cousin auquel l'exil aurait donné les ailes de la puissance et de la gloire ? Pourtant ce que promet Barack Obama, en matière de politique étrangère, le situe dans la même généalogie hégémonique que son concurrent. Sans doute ne professe-t-il pas le même engagement martial que Mc Cain. Dans une réciproque agitation de petits bracelets portés au poignet en mémoire de jeunes sergents morts à Bagdad, Mc Cain le vétéran de toutes les guerres maudites se refuse à « rendre l'Irak aux Irakiens », comme s'y engage Obama.

L'Irak, quel Irak ? Après ce cadeau empoisonné d'un pays dévasté à sa population éclatée, Obama veut retourner les foudres du Pentagone contre l'Afghanistan, au motif que ce pays est (assurément) la matrice du jihad fondamentaliste. D'un saccage à l'autre - car on ne voit pas comment en dehors d'un pilonnage systématique des zones frontalières, encore que les Talibans rôdent autour de Kaboul, ce nettoyage salvateur des abcès du mal pourrait s'accomplir - Obama prévoit déjà un triplement des forces américaines en Afghanistan, en dehors des centaines de milliers de soldats de l'OTAN : une véritable occupation du pays. On n'aura pas entendu évoquer de véritable solution politique ni de lutte contre la corruption qui gangrène une gouvernance de supplétifs afghans ; à peine aura-t-il profilé l'éradication du commerce de la drogue qui finance les Talibans. C'est tout juste s'il ne faudra pas rendre grâce à Obama de ne pas projeter des frappes chirurgicales contre les poches terroristes creusées au Pakistan, que promet Mc Cain, prêt pour sa part a faire retentir le bruit des bottes d'Afghanistan en Iran et jusqu'au Caucase ! Dans sa fantasmagorie de diables moult fois réincarnés, Mc Cain voue aux gémonies Ahmadinejad et voit « dans les yeux de Poutine inscrites les lettres K.G.B. ». Combien alors Obama semble en regard doux, candide, « naïf » même ironise Mc Cain, car le novice - comme s'en moque son vieux challenger - ne saurait pas que pour dîner avec le diable, il faut une longue cuillère. Barack Obama, en effet, prône le dialogue et les négociations sans « conditions » mais avec quelque « préparation », avec un interlocuteur diabolisé par Mc Cain.

Bien qu'Obama prenne le volant avec des gants et mette la pédale douce, n'est-ce pas la même course engagée vers toujours la même domination unilatérale américaine, envers et contre toutes les concurrences : celle d'une Russie qui se rêve toujours impériale, comme l'avait hissée Pierre le Grand, et surtout celle d'une Chine éveillée d'une immémoriale glaciation et à laquelle les USA sont redevables de trillions de dollars. Devant cette exigence d'endiguement des puissances émergentes trop compétitives, la lutte contre le terrorisme est un alibi vertueux pour les candidats, d'autant que c'est la Chine qui financerait, selon eux, le jihadisme perturbateur d'Afghanistan en Arabie ! Peut-être le diable se cache-t-il aussi dans les détails : serait-il bon de rappeler combien le pétrole alimente ce brasier d'enjeux explosifs, de l'Irak en Afghanistan et jusqu'au Caucase et à la mer Noire, les routes du pétrole et les gazoducs y croisant l'avenir du monde. Plus soft, à défaut d'enflammer la poudre, Obama nous la jette aux yeux : ce « grand ami d'Israël » qui n'a pas une parole de consolation pour les Palestiniens en ces temps de regain des colonies, exhibe un visage et un message avenants. Il sait bien quels lobbies flatter, quels intérêts préserver. Il propose une image restaurée, plus attractive pour tous ceux qui croient encore dans les promesses de cette formidable démocratie intérieure, de cette autorité dominatrice extérieure. Sur l'essentiel, ce patriote qui porte la cocarde étoilée au revers de son veston est l'homme de la relève, de la transmission.

Mais en ce 21ème siècle, l'Amérique au crépuscule de son histoire financière et économique dont elle ne peut relancer la machine qu'au travers de nouvelles guerres impérialistes, appréhende de se voir dépasser par une Chine démesurée à laquelle un nouveau tour de planète donne la prééminence, sinisant ainsi le grand échiquier du monde. Non, décidément, nous ne sommes pas tous Américains.

Nadia Omrane

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