Alternatives citoyennes
Des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Janvier 2013
Cas Olfa Riahi ou Sheratongate, il y a quelque chose de pourri

À quelques jours du 2ème anniversaire du soulèvement du 14 janvier, on ne sait plus par quel bout prendre cette pelote d'aiguilles ou cette figue de barbarie (hendi) qu'est devenue la « révolution » tunisienne : un évènement chasse l'autre, une affaire étouffe la précédente et le Sheratongate devenu le cas Olfa Riahi écrase toute autre information.

Pourtant, à la reprise du travail ce mercredi 2 janvier, la population est en ébullition devant la hausse des tarifs des transports qui ne manquera pas de se répercuter sur les prix à la consommation, tandis qu'une série de taxes plus périphériques sont annoncées par la nouvelle loi des finances.

Parallèlement, au grand dam des citoyens, un article scélérat de cette même loi redonne par un artifice juridique au président de l'Assemblée nationale constituante le droit d'accorder des primes spécifiques aux élus, particulièrement de logement et de transport, prérogative que lui avait déniée le tribunal administratif. Voté au milieu de la nuit par des élus présents pour l'occasion, cet avantage est dénoncé par le seul député du Front populaire qui met en balance le train de vie doré des Constituants et la détresse du peuple.

Après la mafia de l'ex famille régnante, il s'établit depuis quelques mois une nouvelle nomenklatura avide et arrogante qui fait feu de tout bois pour s'accorder, sous couvert de légitimité, toute sorte de réparation, dédommagement et autres rentes de situation.

Le fleuron de ce nouvel establishment, l'actuel ministre des Affaire étrangères, est cloué au pilori par une bloggeuse dans un scandale de malversations présumées et de dénonciations de gaspillage des deniers publics porté au niveau d'une affaire d'État sous la dénomination de Sheratongate. Au vu des derniers développements médiatiques et judiciaires, cette affaire pourrait bien devenir bientôt le cas Olfa Riahi.

Ce même mercredi soir, oblitérant tous les autres sujets d'actualité, la joute entre la bloggeuse Olfa Riahi et l'avocat du ministre des Affaires étrangères se donnait en spectacle sur le plateau de la TV Hannibal. Interrogée par un journaliste habile mais sans agressivité, la toute jeune femme démontrera, malgré un évident coaching mené par une escouade de renforts, son incapacité à toute synthèse comme à produire, par l'enchaînement d'arguments ou de pièces à conviction, une démonstration implacable des accusations ramenées par elle-même au niveau de « soupçons » qu'elle avait lancées sur son blog, quelques jours plus tôt.

À l'inverse, spécialiste ces derniers mois de mises en demeure judiciaire de leaders politique d'opposition et d'acteurs de la société civile, plaintes lourdes de menaces et d'intimidations, l'avocat du ministre des Affaires étrangères était à son affaire : redoutable et retors, il mit le doigt sur la faille en soulignant que la bloggeuse ne produisait jamais qu'un élément d'un montage accusatoire, insinuant qu'elle n'en maîtrisait ni les tenants ni les aboutissants et accréditant la thèse largement partagée qu'elle se faisait l'instrument d'une charge politique contre son client.

Dans une dérobade répétée aux coups portés par le juriste, se dégageant à peine de la lecture d'une défense soufflée, la jeune bloggeuse très peu convaincante n'était visiblement pas à la hauteur du pugilat qu'elle avait elle-même suscité et tentait d'esquiver le combat en le renvoyant devant les juges.

Au pic d'une tension inévitable dans cette aventure impulsive et imprudente, et dans la frénésie d'un buzz autour de sa personne, elle finit par craquer, en larmes à l'évocation de la seule plainte qui risquerait d'aboutir, pour diffamation d'une femme collatéralement mise en cause et à laquelle elle présenta ce soir-là des excuses publiques. Et pour finir, dans des moulinets picaresques, elle annonça une volée de plaintes tous azimuts

Mais après avoir juré de se taire jusqu'à l'instruction, revoilà ce jeudi matin à la première heure sur ExpressFM cette même jeune personne, probablement dans l'intention de présenter à l'opinion publique une copie moins brouillonne que la veille de son « investigation ». Une fois de plus, interrogée par un journaliste rigoureux mais jamais déplaisant, elle tint à persuader que son enquête avait pris deux mois, tout en comptant sur ses doigts le nombre de sources autorisées consultées, comme une jeune fille compte ses amoureux. S'auto-désignant mascotte de « l'hôtel Sheraton » dont elle aurait assuré la publicité par cette histoire et faisant donner la chanson « khali ykoulou » (laissez-les médire), elle badina en héroïne du film « Usual suspects », rapportant à une intrigue policière une affaire d'État qui pourrait être un séisme politique.

C'est trop de frivolité pour une nuit des longs couteaux qui pourrait s'annoncer et dont le journaliste d'ExpressFM insinua qu'elle pourrait en faire les frais en alignant comme par jeu la longue liste des journalistes d'investigation décapités en Afghanistan, trucidés en Côte d'Ivoire, défénestrés ou « suicidés ». Dans ce scandale, où le loufoque se combine au tragique, on reste abasourdi et consterné à la fois par tous les manquements déontologiques dont le plus grave semble être certainement l'absence d'indépendance. Tous les commentateurs pointent en effet une sourde guerre au sein de la troïka, entre le Congrès pour la République, parti du chef de l'État Moncef Marzouki, et le mouvement Ennahdha dont le leader a pour gendre précisément le ministre des Affaires étrangères.

Ce conflit interne à la direction de l'État autour d'un prochain remaniement ministériel et à l'approche d'une campagne électorale se déroule sur fond de soupçon de corruption dont la purge devrait être un des projets phares de la nouvelle République. Au-delà de l'usage ponctuel d'une chambre de l'hôtel Sheraton aux frais de l'État, usage proscrit par l'article 96 du Code pénal sur la base duquel 25 avocats portent plainte contre le ministre des Affaires étrangères, ce dernier est également soupçonné d'avoir orienté un don « secret » de la Chine à la Tunisie vers un compte ouvert au titre du ministère des Affaires étrangères, dans un contournement du protocole régulier. Cette procédure alambiquée est confirmée par un responsable de la Banque centrale et par le secrétaire d'État aux Finances qui juge cette opacité financière dans l'usage, regrettant que sa révélation puisse nuire désormais aux subventions chinoises à la Tunisie.

C'est une curieuse façon de répondre à l'exigence d'une gouvernance transparente, manquement relevé par l'Association tunisienne pour la transparence financière, toujours à l'affût, toujours rigoureuse et qui réclame désormais un audit des fonds de tous les ministères.

Bien que soutenu par le chef du gouvernement avant même la conclusion de l'enquête, le ministre des Affaires étrangères partira certainement au prochain remaniement. Il ne peut pas en être autrement, il devrait même démissionner dans l'attente des conclusions de la justice. Quelles qu'elles soient, l'opinion publique considère qu'au ministère de souveraineté où il incarne pour l'étranger l'Etat tunisien, il a terni l'image de notre pays et personne n'a plus goût à ses fanfaronnades, son arrogance et ses bourdes.

Pourtant, au-delà de sa personne, on ne peut que répugner à ces pratiques politiques, relents d'une époque qu'on croyait révolue. Au lendemain du 7 novembre aussi, ce type de torchons accusateurs issus d'officines pleuvait sur les salles de rédaction, tel cet obscur grimoire destiné à « descendre » l'un des acteurs du triumvirat du coup d'état contre Bourguiba, ou encore telle cette vidéo virtuelle outrageant un leader islamiste, ou cette note de frais ministérielle mise au passif personnel de ce ministre intègre qu'était Mohamed Charfi. Les journalistes soucieux de construire une éthique de l'information refusaient de les exploiter, mais ces vomissures de cabinets noirs firent les choux gras de journaleux féaux du pouvoir, commis à tenter de déshonorer surtout les femmes militantes de l'opposition ou de la société civile.

On croyait le temps du mercenariat terminé et on espérait que la transition démocratique installerait des pratiques politiques plus dignes, loin des coups bas et des règlements de compte.

Le ministre des Affaires étrangères n'est qu'un épiphénomène, excroissance focalisant tous les rejets mais parfaitement marginale par rapport au système qui se met en place sur les décombres de l'ancien régime. Le coeur de cible est ailleurs. La priorité des priorités, c'est ce nouveau mouvement social qui gronde en ce jour anniversaire des émeutes du pain de 1984 et où, pénultième exode symbolique, les pêcheurs de l'île aux éponges, larguant toutes les amarres citoyennes, voguent vers d'autres cieux en flottilles de felouques avec ce cri d'adieu : « Nous vous laissons notre pays ».

Décidément, « there is something rotten in the Kingdom of Tunisia », il y a quelque chose de pourri au royaume de Tunisie.

Nadia Omrane

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