Alternatives citoyennes Numéro 14 - 31 janvier 2005
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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SMSI
Deux missions pour évaluer l'opportunité de la tenue du SMSI à Tunis

 

D es composantes de la société civile tunisienne indépendante, associations, syndicats, journalistes, universitaires, militants individuels, mais aussi des officiels ou assimilés, ont reçu coup sur coup en ce mois de janvier 2005 des observateurs internationaux. Ils se sont rendus en Tunisie dans le cadre de deux missions d'observations, en lien avec le Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI).

La première mission a été organisée par l'Échange international de la liberté d'expression (International Freedom of Expression Exchange ou IFEX), un réseau de plus de 60 organisations, principalement de défense de la liberté de la presse et de l'édition. Elle s'est déroulée du 14 au 19 janvier 2005. 8 personnes la composaient, dont un consultant tunisien, et représentaient le « groupe de surveillance de la Tunisie », formé par l'IFEX en vue du SMSI. Certains membres de l'IFEX font partie du caucus médias du SMSI. Cette première mission a déjà publié un communiqué de presse, avec des premières conclusions confirmant qu'il y a de « sérieuses raisons de s'inquiéter » de la situation actuelle de la liberté d'expression et des libertés civiles dans le pays, notamment de graves restrictions à la liberté de la presse, des médias, de l'édition et de l'Internet.

La deuxième mission a été organisée par trois organisations agissant au niveau international : la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH, bien connue des ONG indépendantes tunisiennes mais aussi des officiels tunisiens et de leurs proches, bien qu'appréciée différemment par les premières et les seconds...) ; l'organisation canadienne Droits et Démocratie (plus exactement le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, une organisation créée par le Parlement canadien) et l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT, basée à Genève et bien connue également de la Tunisie). Ces trois organisations sont membres du caucus des droits de l'homme, qui soutient cette mission et a contribué à son organisation, à la demande d'un autre de ses membres, la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH). En effet, cette demande avait été exprimée publiquement par Souhayr Belhassen, vice-présidente de la LTDH, lors de la conférence de presse organisée par le caucus pendant la première phase du SMSI, en décembre 2003 à Genève. Cette mission s'est déroulée du 25 au 28 janvier 2005.

Chacune des deux missions présentera ses conclusions détaillées lors de la prochaine PrepCom de Genève, et assurera un suivi ultérieurement.

Bien que coordonnant évidemment leurs travaux, les deux missions conservent chacune ses spécificités. La première spécificité réside dans la personnalité des délégués. Si la mission IFEX était essentiellement composée de représentants des organisations membres du réseau, c'est-à-dire principalement des représentants de la presse et de l'édition, la mission FIDH a choisi de diversifier ses délégués. En plus du représentant de la FIDH et de celui du syndicat de la presse marocaine, cette mission comptait Jean-Louis Roy, président de Droits et Démocratie, et ancien diplomate, et Deborah Hurley, professeur à l'Université de Harvard, et auteur du rapport intitulé « L'étoile polaire : les droits humains dans la société de l'information », présenté à la PrepCom de septembre 2003 à Genève au cours d'une manifestation publique organisée par le caucus des droits de l'homme. Ce rapport, existant en Français, Anglais et Arabe, a été largement diffusé ensuite, notamment en Tunisie par la LTDH. La mission FIDH avait demandé des rendez-vous à des responsables de très haut niveau. Celui avec le ministre chargé des technologies de la communication était confirmé, mais, au dernier moment, les délégués ont dû déplorer son absence, due semble-t-il à sa participation à la Conférence régionale africaine pour le SMSI, à Accra au Ghana. Les travaux de cette conférence ne commencent que début février, mais la route de Tunis à Accra est sans doute bien longue...

Cette différence de composition des missions s'explique par les objectifs complémentaires assignés à chacune d'entre elle. La mission IFEX s'intéresse naturellement en premier lieu, mais non exclusivement, à la liberté d'expression et à la liberté de la presse. L'objectif de la mission FIDH est plus large, puisqu'elle vise à produire un état des lieux de la situation en Tunisie, dans le but de fournir à tous les participants au SMSI (gouvernements, secteur privé, société civile, organisations internationales) un outil d'évaluation du degré de développement d'une société de l'information basée sur le respect des droits de l'homme en Tunisie. Il était donc demandé aux délégués de s'attacher particulièrement : d'une part au caractère indépendant et objectif de la production de cet outil d'évaluation, conformément aux souhaits des organisateurs de la mission ; d'autre part à une conception globale des droits de l'homme respectant leur caractère universel et indivisible, dans un contexte d'État de droit garantissant leur application effective. Il s'agit donc, dans la lignée des positions du caucus des droits de l'homme, de considérer tout autant les droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et culturels comme critères pertinents pour l'évaluation.

Sans aucunement préjuger de la position que chacun des participants au processus du SMSI (gouvernements, secteur privé, société civile internationale, organisations internationales) prendra en novembre 2005, à la veille du Sommet lui-même, ces deux missions contribueront donc, chacune à sa manière, à fournir matière à se déterminer en toute connaissance de cause, et à assumer ses choix.

Ces missions étaient apparemment bien attendues, notamment par l'Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE), qui leur a obligeamment fourni un dossier répondant point par point (par avance et sans même qu'il soit demandé !) à toutes les questions qu'elles pourraient se poser. L'ATCE fait son travail, il n'y a aucun doute...

Mais il y a eu également une troisième mission, dont La Presse s'est abondamment fait l'écho dans son édition du samedi 22 janvier 2005 (les deux autres missions n'ont pas eu droit à tant d'égard). Il s'agit d'une mission conduite par un groupe d'éditeurs de journaux américains, qui a trouvé que « le modèle de développement tunisien [était] un exemple de réussite » et que « ce [qu'ils ont] vu en Tunisie en matière d'éducation, de croissance économique, de liberté, de progrès des femmes est un exemple pour le monde ». On connaît la chanson : mission et contre-mission...

C'est exactement la raison pour laquelle la mission FIDH est d'autant plus cruciale qu'elle traite de l'ensemble de ces questions, et non uniquement de la liberté d'expression. Car les droits de l'homme sont indivisibles et indissociables, nous refusons de choisir entre être libre ou manger et d'opérer une hiérarchie entre les droits de l'homme.

 

Meryem Marzouki
Coordinatrice du caucus des droits de l'homme au SMSI
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