Alternatives citoyennes Numéro 17 - 24 novembre 2005
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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La laïcité, un attribut de la démocratie

 

C 'est par décision politique que la Turquie a constitutionnellement adopté la laïcité et, aujourd'hui encore, c'est l'armée qui en est la gardienne. Des militant-e-s portent la revendication de la laïcité dans un grand nombre de pays arabes, dont la Tunisie, et cherchent à obtenir sa reconnaissance en soi. La question est : la laïcité est-elle insoluble dans la dictature ? (pour inverser terme à terme la question de savoir si l'islamisme est soluble dans la démocratie).

Face à l'émergence de théocraties dans des pays de confession musulmane, deux types de réactions se sont faites jour a posteriori. Une première qui a tendance à considérer comme laïques tous les régimes non spécifiquement islamistes. Une seconde qui consiste à considérer que la laïcité dans ces pays où règne la foi musulmane ne peut que se décréter par des régimes autoritaires, sinon dictatoriaux. Autrement dit, les dictatures seraient le paravent qui protègerait les laïques, toujours minoritaires bien entendu, contre l'islamisation rampante des sociétés. Drôle d'équation sachant que ces mêmes laïques sont, par ailleurs, les premiers à réclamer la démocratie.

Comment sortir de ce cercle vicieux où chacun des segments est aussi « compromettant » que l'autre ?

J'aimerais rappeler ici une vérité toute simple, à savoir que l'Islam politique n'est pas l'apanage des islamistes et que les États ont fait et continuent de faire un usage extensif du religieux pour asseoir leur légitimité. Au regard de la question posée ici, c'est ce qui fait d'eux précisément des dictatures et non pas des démocraties puisqu'ils tirent une part de leur souveraineté non pas de la soumission aux lois positives mais de l'invocation de la suprématie divine.

Pourrait-il en être autrement ? Les leaders nationalistes puis les États indépendants ont toujours proclamé que le recours à cette forme de légitimité traditionnelle ne servait pas tant à asseoir leur domination qu'à s'assurer de la mobilisation d'une société animée par la croyance. Aujourd'hui, la situation se complexifie encore dans la mesure où les États visent plutôt la démobilisation des sociétés et aspirent à un monopole sur le religieux.

Cependant, dans la première période historique comme dans la seconde, l'usage instrumental du religieux s'est avéré être contreproductif pour les pouvoirs en place puisqu'il n'a fait que susciter un regain de foi dans les sociétés réagissant à cette instrumentalisation patente. La spirale de surenchère de religiosité est ainsi déclenchée rendant la reconnaissance de la laïcité de plus en plus hypothétique.

Quelles chances peut avoir la revendication de la laïcité dans un tel contexte ? Autrement dit, un État peut-il l'adopter sans changer sa nature même, sans se conformer aux mécanismes du système démocratique ? Car comment concevoir un système démocratique qui ne soit pas laïque, c'est-à-dire qui ordonne son espace public non pas selon une volonté citoyenne mais selon une volonté divine et, inversement, comment imaginer l'instauration de la laïcité sans un système démocratique, c'est-à-dire en dépit de la volonté citoyenne et par la seule force de la volonté politique (sinon militaire) ? Autant dire que la revendication de la laïcité est partie intégrante de la revendication démocratique et ne peut en être dissociée.

Oui mais voilà, que faire de nos sociétés islamisées ? Vouloir la laïcité, c'est accepter la démocratie avec les risques et périls que cela représente aujourd'hui pour toutes les minorités qu'elles soient numériques ou culturelles. Celles-ci doivent prendre conscience que la démocratie est d'abord une chance pour elles puisque c'est le seul système où elles peuvent faire entendre leurs voix dans la pluralité et dans la diversité. Elles doivent surtout prendre conscience que les choses ne changeront jamais en dépit des sociétés par des décisions autocratiques, aussi éclairées soient-elles, sans participation citoyenne (l'échec de toutes les politiques volontaristes de par le monde est là pour le démontrer) et qu'il relève de leur propre responsabilité de se construire et se constituer en forces autonomes pour faire face à toute velléité ou prétention uniformisante, hégémoniste d'abord au sein de la société et pour pouvoir s'imposer comme étant une des composantes de celle-ci.

 

Ilhem Marzouki
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