Alternatives citoyennes
Des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Numéro 17 - 24 novembre 2005
Éditorial
 
Cette « toute petite minorité hostile »
Au SMSI, une répression en haut débit

 

A u soir de la clôture du SMSI, vendredi 18 novembre, sur la chaîne de télévision Arte, le ministre tunisien des affaires étrangères, Abdelwaheb Abdallah, grand censeur devant l'éternel et maître es propagande de l'État parti, dénonçait en Français facile « une toute petite minorité hostile », dépeinte comme une coalition d'extrémistes de droite et de gauche, « ainsi qu'il s'en voit ailleurs ».

Hostile ? À qui, à quoi ? Voilà bien un langage qui témoigne d'une conception infra politique de la gestion des affaires publiques. Car la chefferie clanique et l'oligarchie prébendière, qui s'approprient la direction de l'État, parasitent la vie publique, thésaurisent le bien de la nation et se donnent comme les parangons du patriotisme, appréhendent comme une guerre contre elles l'ensemble des initiatives républicaines questionnant la gouvernance et se posant en alternance.

Ainsi l'opposition qui, en tout autre État de droit serait traitée avec la civilité des usages démocratiques, se trouve assignée en Tunisie à un régime sécuritaire, le pays étant bouclé comme en état de siège. Derrière le côté jardin de notre pays, les hôtes du SMSI invités aux grands frais des contribuables, accueillis et raccompagnés avec des fleurs, ont découvert un sinistre et stupide côté cour : l'organisation d'un sommet citoyen déjoué comme un complot contre l'État ; son lieu de préparation, l'Institut Goethe, évacué manu militari ; son médiateur, l'ambassadeur d'Allemagne auprès des Nations Unies à Genève, surpris au café avec les « insurgés », sommé par la police de produire ses papiers d'identités !

Dans le registre insensé et contre-productif, pouvait-on faire mieux ?

Eh bien, on le fit : repéré, suivi, escorté, dans un pays quadrillé au millimètre par la police et l'armée, le journaliste de Libération, Christophe Boltanski - auquel notre journal adresse ici toute sa sympathie - fut sauvagement agressé. Dans la foulée, d'autres journalistes étrangers ainsi que Robert Ménard, secrétaire général de RSF, furent victimes eux-mêmes des différentes modalités d'une « expression sous la répression », thématique d'un panel d'ONG européennes, dans le cadre du SMSI, qui fut menacé d'interdiction...

Quel lamentable fiasco d'une opération de prestige pour le régime du président Ben Ali, qui eût pu être, avec un peu plus de sens politique, une vraie chance pour la Tunisie !

Car outre la démonstration que notre pays pouvait être une destination technologique compétitive, riche de compétences et de savoir-faire, ce Sommet aurait pu associer dans une trêve, voire une forme de consensus, nos gouvernants, nos élites et notre société civile autour des valeurs de progrès et de démocratie, dans un débat international pour la réduction de la fracture numérique et pour le rééquilibrage de la gouvernance d'Internet.

À l'inverse, nous avons exposé notre déchirure aux gouvernements, aux ONG et aux médias étrangers qui prirent la mesure de l'imposture, du scandale et de la honte s'abattant, par la responsabilité d'une autorité sans partage, sur un petit pays pourtant à l'avant-garde du monde arabo-musulman.

Y a-t-il d'ailleurs meilleure illustration de cette décadence que des leaders politiques et associatifs réduits à entreprendre une grève de la faim, l'arme des désespérés, se mutilant eux-mêmes dans un ultime appel à l'aide ? C'est alors qu'enfin, les gouvernants américains, européens et finalement français prêtent l'oreille, disent leur déception, leur inquiétude, leur protestation !

Pauvres élites politiques, amenées à se martyriser ; pauvres jeunes, euphoriques de lever le poing devant une caméra ; pauvres femmes émancipées, servant d'alibi à un régime musclé ; pauvre société jusqu'ici si éduquée, si entreprenante et si modernisée, désormais ouvrant des autoroutes de l'information aux cavaliers d'Ennahdha que cheikh Rached Ghannouchi, grand stratège en sous-main de la grève de la faim et d'une alternance conservatrice annoncée, lance contre une dictature présumée laïque et contre tous les apôtres du rationalisme, défenseurs de la Tunisie moderne inaugurée à l'Indépendance.

Responsable de cette dérive vers une régression sociale et culturelle, le pouvoir tunisien prendra-t-il enfin garde à ce que n'enflent pas les rangs de cette toute petite minorité hostile ? La délégation du Président du Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales auprès de la société civile et des mouvements d'opposition, et surtout le rappel (de Damas où il était ambassadeur) de Mhamed Ali Ganzoui comme Secrétaire d'État en charge de la sûreté nationale, sont-elles des réponses à cette redoutable éventualité ?

 

La rédaction
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