Alternatives citoyennes
Numéro 8 - 20 mars 2002
Brèves

 

Moustaqilla : la fin de l'illusion

En annonçant dans une brève du numéro 7 le coup de barre à droite de Moustaqilla, Alternatives Citoyennes ne se trompait pas. En effet, cette émission de télévision (car on ne saurait parler de chaîne) pendant deux heures le dimanche (rediffusée en cours de semaine) sur un canal kurde, a décidé de ne plus traiter des affaires tunisiennes et de porter son intérêt à des débats mornes sur le Moyen-Orient. C'est un terrain où elle se fait largement distancier par d'autres télévisions arabes, particulièrement Al-Jazira, et où elle lasse l'opinion tunisienne.

Le tournant public était pris il y a un mois avec deux émissions offertes à deux « militants de base » du RCD, tandis que la prestation de Moncef Marzouki, non rediffusée, bouclait moins d'une année de diatribes contre le régime tunisien qui firent les dimanches ravis des téléspectateurs frustrés d'une expression critique, souvent radicale.

Après avoir hébergé les ténors de l'opposition tunisienne et offert quelques minutes hebdomadaires au « Poète », l'iconoclaste Taoufik Ben Brik et à un temps d'antenne francophone acheté par Reporters Sans Frontières, voilà que Moustaqilla tourne casaque, annulant sans le prévenir l'émission du 10 mars dont l'invité devait être Omar S'habou, ancien directeur de l'hebdomadaire indépendant Le Maghreb.

Selon quelques sources qui furent pendant un temps dans la familiarité (regrettable et sans doute regrettée aujourd'hui) de Hachemi Hamdi, le directeur de Moustaqilla aurait contracté un deal avec des émissaires du régime tunisien. Il s'agirait de ne plus exercer de pression sur les autorités tunisiennes pendant un an, afin que celles-ci puissent entamer un processus de réformes politiques qui viendraient de leur propre initiative et non pas sous la revendication, la menace ou le chantage.

Car on se souvient d'une intervention de Hachemi Hamdi menaçant de se présenter lui-même aux prochaines élections présidentielles, en « continuateur démocratique de Bourguiba ». Et oui, Hachemi Hamdi ne manque pas de culot !

Un mois plus tard, par un de ces retournements dont il a l'expérience, Hachemi Hamdi proposait, à la suite de l'intervention de Hichem Jaït le 24 février, au chef de l'État tunisien ses bons (mais probablement pas loyaux) services, dans un plaidoyer sur ses patriotisme et disposition démocratique dégoulinant d'obséquiosité.

Désormais, Moustaqilla se taira complaisamment. Dans une dénonciation publiée sur son site web, Tahar Belhassine, qui fut pendant quelques mois dans une familiarité attentionnée et indulgente pour Hachemi Hamdi, fait son mea culpa en laissant entendre que le silence de Hachemi Hamdi pourrait l'aider à une restabilisation financière, ce qui est évidemment un euphémisme.

Quant aux autres opposants tunisiens qui firent bien des salamalecs à Hachemi Hamdi dont l'itinéraire pourtant en disait déjà très long sur le personnage, ils se consolent en se rabattant sur la chaîne islamiste Zeitouna TV et en prétendant qu'ils n'ont fait qu'instrumentaliser Moustaqilla. On espère pour eux qu'ils n'ont pas fait trop de confidences à Hachemi Hamdi qui pourraient tomber dans des oreilles moins obligeantes à l'égard de l'opposition tunisienne, car ils pourraient bien se mordre les doigts de leur manque de discernement. Telle sera, du reste, la mésaventure qu'ils vont aussi connaître prochainement avec la publication de quelques-uns de leurs secrets aux éditions L'Harmattan. Faire de la politique c'est sans doute parfois se commettre et avoir les mains sales, mais pas à ce point d'aveuglement !

Quant à Hachemi Hamdi, pour ceux qui l'auront expérimenté dans le journalisme depuis une vingtaine d'années, il aura sans doute encore de bonnes occasions d'ajuster ses positions.

Encore une publication qui sera interdite en Tunisie

Un numéro spécial des Cahiers de Confluences vient de paraître aux éditions L'Harmattan. Ce numéro intitulé « La Tunisie de Ben Ali : la société contre le régime » a été coordonné par Olfa Lamloum et Bernard Ravenel. Nous nous contentons ici de l'annoncer car nous n'avons pas encore pu en prendre connaissance.

Le numéro est ainsi présenté par ses auteurs : « Le choix de la date de publication de cet ouvrage collectif n'est pas fortuit. Alors que le président Ben Ali manoeuvre lourdement pour légitimer une quatrième et inconstitutionnelle candidature à l'élection présidentielle, il nous a semblé opportun de revisiter ses 14 années de pouvoir. Il nous a semblé aussi opportun, alors que l'État français renouvelle solennellement son soutien au régime tunisien dans le contexte de la « lutte globale contre le terrorisme islamiste », de livrer aux lecteurs français des analyses critiques du régime politique actuel de ce pays souvent présenté comme un havre de paix et de sérénité. « La Tunisie de Ben Ali : la société contre le régime » se propose de restituer le profil des mutations qui ont profondément marqué la Tunisie des années 90. Il ambitionne de comprendre comment et pourquoi la « promesse démocratique » de « l'ère nouvelle », inaugurée officiellement au lendemain « du coup d'Etat médical » du 7 novembre 1987, n'a pas résisté à l'épreuve de l'exercice du pouvoir. Ces analyses, proposées par des auteurs aux horizons divers, sont complétées par une série d'entretiens avec des acteurs de la scène politique tunisienne. Habituellement privés d'espaces de réflexion, de confrontation et de liberté intellectuelle dans leur pays, ils livrent leurs analyses et avancent leurs propositions pour sortir la Tunisie de l'absurde et étouffante situation actuelle ».

Au sommaire de ce numéro, on trouve les articles suivants :

Introduction, Olfa Lamloum et Bernard Ravenel
Première partie : Régime, pratiques et discours
- La pauvreté en Tunisie : présentation critique, Raouf Saïdi
- « Il n'y a pas de miracle tunisien », Entretien avec Béatrice Hibou
- Développement et libéralisation économique en Tunisie, Delphine Cavallo
- Le jeu de bascule de l'identité, Ilhem Marzouki
- L'indéfectible soutien français à l'exclusion de l'islamisme tunisien, Olfa Lamloum
- L'université tunisienne dans tous ses états, Moncef Ben Slimane
- Un régime à contre-courant de l'évolution du pays !, Kamel Jendoubi
- Modernité et monde arabe, Burhan Ghalioun
Deuxième partie : Société civile, entre répression et renouveau
- Les droits de l'Homme : entre discours et pratique, Entretien avec Donatella Rovera
- Le renouveau du mouvement démocratique tunisien, Sadri Khiari
- Autoritarisme étatique et débrouillardise individuelle, Larbi Chouikha
Troisième partie : La parole aux Tunisiens : résistances, stratégies, la question de l'alternance.
- Entretien avec Mustapha Ben Jaafar
- Entretien avec Sihem Ben Sedrine
- Entretien avec Khemaïs Chammari
- Entretien avec Fathi Chmakhi
- Entretien avec le Dr Mohammad Al-Hachimi
- Entretien avec Moncef Marzouki
- Entretien avec Tunisnews
Quatrième partie : Document
- « Déclarer l'échec de l'islamisme politique relève de la précipitation », entretien avec Rached Ghannouchi
- D'un modèle à l'autre, réflexions de l'autre rive, Bernard Ravenel

Les commandes peuvent être adressées à :

Revue Confluences Méditerranée
3, rue Alfred Bruneau
75016 Paris
Tél. et Fax : +33(0)145240048
Ou à Anne Volery au +33(0)143660979 ou au +33(0)665901676 (anne.volery@wanadoo.fr)
Site web de la revue : http://www.ifrance.com/Confluences/

La LTDH et la réforme constitutionnelle

La Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme vient de rendre publique sa position sur le projet d'amendement de la réforme constitutionnelle, position qu'elle prend en tant qu'institution nationale intéressée au premier chef à une évolution démocratique dans le pays et à la garantie constitutionnelle des droits et libertés publiques.

Dans ce communiqué en date du 15 mars, la LTDH après avoir passé en revue l'ensemble des nouvelles dispositions qui pourraient constituer autant d'amendements du texte constitutionnel, souligne l'intérêt qu'il y a à inscrire dans la Constitution des garanties en matière de droits de l'homme et notamment les Conventions internationales auxquelles la Tunisie a adhéré et qui pourraient être susceptibles d'être à la source de certaines lois. La Ligue considère qu'une référence à ces Conventions devrait figurer dans le préambule de la Constitution.

Mais au plan des nouvelles dispositions proposées à la réforme, la LTDH considère qu'elles n'apportent aucune amélioration démocratique de la Constitution et partant, des institutions républicaines. À l'inverse, elles renforcent le déséquilibre entre les pouvoirs, soumettant d'une certaine manière le législatif à l'exécutif (particulièrement au niveau du rôle des deux Chambres dans les projets de loi).

Bien plus, la LTDH considère qu'elles contribuent à renforcer le pouvoir personnel. Enfin, alors qu'un grand mouvement revendicatif se fait depuis longtemps pour l'indépendance et la dignité de la justice, le pouvoir judiciaire se trouve ignoré et marginalisé dans ce projet de réforme.

Aussi, la LTDH fait une proposition qui semble s'inscrire dans un mouvement général de l'opposition. Ainsi, la LTDH demande que le processus ouvert dans le sens d'une réforme constitutionnelle soit interrompu et laisse place à l'ouverture d'un vrai débat autour des nécessaires et urgentes réformes politiques à entreprendre.

Hijab

Un certain nombre de pressions auraient repris à l'encontre des femmes travaillant dans la fonction publique et portant le hijab. La LTDH signale dans un communiqué en date du 15 mars que quelques femmes enseignantes sont victimes de ces pressions et que l'une d'entre elles devrait passer pour cela devant le conseil de discipline. Cependant, ce traitement est inégal selon les régions.

Par ailleurs, le mouvement islamiste aurait appelé les femmes à se manifester le 8 mars par le port du hijab. Ce message a été diffusé sur Internet.

L'UGTT et le référendum

Au sortir d'une entrevue avec le chef de l'État, le 6 mars, Abdesselem Jrad, Secrétaire général nouvellement élu de l'UGTT, a fait une déclaration rapportée par la presse dont Echchaâb, organe de l'UGTT, déclaration où il affirme la considération de l'UGTT pour les réformes politiques annoncées le 7 novembre 2001. Abdesselem Jrad a aussi assuré le chef de l'État de l'adhésion des travailleurs au projet de référendum constitutionnel, expression démocratique par excellence, à ses yeux, et il a annoncé la volonté des syndicalistes de participer le plus largement possible à ce référendum en votant pour les réformes de la Constitution proposées.

Un grand nombre de syndicalistes, précisément, manifestent pour le moins leur surprise devant cette déclaration et ces engagements du Secrétaire général de leur organisation. En effet, il n'a pas été question de ces engagements lors du dernier congrès extraordinaire de l'UGTT, un mois plus tôt, engagements qui devraient être pris au cours d'un Conseil national ou d'une Commission administrative.

Les plus allergiques à ce genre de pratique unilatérale du « fait accompli » sans consultation de quiconque, estiment que le Secrétaire général de l'UGTT aurait pu, à la suite d'entente préalable avec des responsables politiques, différer à après le congrès de l'UGTT l'annonce de cette décision grave qui aurait dû faire l'objet de discussions pendant le congrès. Mais alors, quel aurait été le résultat des élections et le score de Abdesselem Jrad ?

Il reste les négociations sociales, affaire intéressant au plus haut degré les travailleurs. Voilà une autre échéance qui risque d'apporter de nouvelles surprises !

LTDH adhésions

La LTDH vient d'adresser aux partis politiques et à un certain nombre d'organisations nationales une lettre les informant de pressions que subissent leurs sections dans leur campagne de renouvellement des adhésions à la Ligue, dans le cadre de la préparation du prochain Congrès. Cette lettre fait état également d'un forcing opéré par le RCD pour que ses propres militants puissent adhérer en nombre important à la Ligue au prix d'encouragements et quitte même au paiement de leurs cotisations.

Saisie de Attariq Aljadid

Le numéro 4 du mensuel Attariq Aljadid vient d'être saisi à l'imprimerie alors que depuis une semaine il attendait d'être autorisé à la diffusion.

Ce numéro riche et varié comportait de nombreux articles sur le projet de réforme constitutionnelle, un dossier sur le 8 mars autour de Constitution et droits des femmes, un article sur l'indépendance de la justice et la reproduction in extenso de l'excellente et dérangeante interview du professeur d'économie Hassine Dimassi sur la menace pesant sur les acquis sociaux en Tunisie et les années-vérité qui attendent notre pays. Cette interview est parue dans le numéro 7 d'Alternatives Citoyennes et était reprise dans Attariq Aljadid conformément à nos accords de partenariat. Il y avait également bien d'autres sujets sociaux et culturels dans cette livraison d'Attariq.

Le mouvement Ettajdid a protesté dans un communiqué contre cette saisie. Il s'agit là du deuxième organe d'un mouvement d'opposition à ne pouvoir paraître librement. En effet, El Mawqef, organe du PSP, avait été ramassé de la même manière et ne peut réapparaître depuis décembre 2001 pour des problèmes financiers. Ces nouvelles entorses à la liberté de presse, à la veille du 20 mars, augurent bien mal du mouvement de réformes politiques et notamment du respect de la libre information qui avait été annoncé le 7 novembre 2001.

Rapport du CNLT sur l'état des libertés en Tunisie

Le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), dont la porte parole est la journaliste Sihem Ben Sedrine, vient de publier son deuxième Rapport sur l'état des libertés en Tunisie recouvrant la période qui s'étale d'avril 2000 à décembre 2001. Un bien triste état en réalité que ce long document présente. Le CNLT revient également de manière critique sur certaines approximations ou erreurs contenues dans son rapport précédent.

Centré sur la question de l'indépendance de la justice, dont on a encore vu récemment, à l'occasion du procès de Hamma Hammami, à quel point elle pouvait être illusoire, le nouveau rapport du CNLT cite de nombreux cas de juges qui auraient refusé d'entendre les protestations des inculpés dont les aveux avaient été arrachés sous la torture mais également de médecins légistes, complices ou coupables de leur peur, qui auraient fermé les yeux devant des morts suspectes dans les commissariats.

Par delà les faits accablants que révèle ce rapport, un impératif moral, plus encore que politique, se dégage à sa lecture : mettre un terme à la torture et à son impunité. C'est d'ailleurs là une des revendications fondatrices du CNLT. Les documents du CNLT sont disponibles sur son site : http://www.cnlt98.org.

 

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