Alternatives citoyennes
Numéro 9 - 10 juillet 2004
Dossier
SMSI
Brèves : Hammamet comme si vous y étiez

 

- Reconnaissance du ventre

La « femme africaine » (la seule, la vraie), alias Mme Awa N'Diaye, s'exprimant au cours de la plénière société civile pour appuyer la demande de ses congénères de la « société civile tunisienne officielle » (SCTO) de modifier le texte sur les droits de l'homme, a invoqué la culture africaine. C'était donc au nom du respect de l'hospitalité légendaire de nos contrées qu'il ne fallait en aucune manière souligner la situation des droits de l'homme en Tunisie, ce pays qui « nous a offert le gîte et le couvert ». Parlez pour vous, Mme N'Diaye, car les autres - africains ou non - n'ont pas eu cette chance !

- Agents de Bush et de Sharon

Bien d'autres « arguments » ont été utilisés par la SCTO et ses amis, dans le même objectif. On en retiendra un particulièrement croustillant : « ceux qui veulent pointer du doigt la Tunisie veulent en fait ainsi couvrir les exactions des États-Unis et d'Israël en Irak et en Palestine. Ils sont les agents de Bush et de Sharon ». La responsable du Caucus des droits de l'homme soussignée, nommément citée comme l'un de ces agents, tient à féliciter le digne représentant de la SCTO auteur d'une telle démonstration à l'imparable logique et au sens aigu de l'analyse politique...

- Quand l'appétit va, rien ne va plus

La SCTO s'est insurgée du fait qu'elle n'avait pas été associée au comité qui a rédigé les déclarations de la société civile, notamment celle sur les droits de l'homme, et qui a déterminé qui allait les présenter en son nom devant la plénière des gouvernements. C'est que, quand on a l'estomac dans les talons après une rude journée à s'époumonner et à s'agiter en vain dans tous les sens (sans oublier de faire son rapport par téléphone portable à différents moments de la journée), on n'entend pas les appels aux volontaires pour constituer ce comité (appels répétés à trois reprises en plénière de la société civile) et que, au lieu de rencontrer les autres volontaires du comité à la sortie de la salle pour passer la soirée à travailler sur les textes, on se précipite pour prendre d'assaut le buffet généreux préparé pour la réception du 24 juin au soir, tout en faisant le beau devant ses commanditaires. Saha !

- Du jamais vu depuis Durban

Interrogé, eu égard à son expérience des réunions des Nations Unies, pour savoir s'il avait déjà assisté à un chaos pareil, un représentant d'une organisation de la société civile étrangère a trouvé que l'ambiance lui rappelait furieusement (c'est le mot adéquat, en effet) celle de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée, qui s'est déroulée à Durban (Afrique du Sud) en 2001. On se souvient de la cacophonie qui y avait régné au sein du forum des ONG, notamment au sujet de la question palestinienne...

- Plus qu'une interruption de séance, un grave incident

Selon Roberto Bissio, représentant de l'ONG urugayenne Instituto del Tercer Mundo (Institut du Tiers-Monde, ITeM), l'interruption de séance lors de la plénière des gouvernements à cause du texte sur les droits de l'homme qui allait être lu au nom de la société civile et de la personne qui devait le présenter (une interruption de 45 minutes, avec réunion du bureau gouvernemental, à cause de l'opposition initiale des autorités tunisiennes) est tout à fait inhabituelle. Cet observateur dit être incapable de se souvenir, en 15 ans de participation à des Sommets de l'ONU, d'un évènement pareil survenu au sein d'une réunion plénière intergouvernementale des Nations Unies afin de permettre à la société civile de s'entendre !

- « Stupidité » du gouvernement tunisien...

Un représentant de la délégation d'un gouvernement européen, soucieux de comprendre le problème au sein de la société civile, a voulu entendre les deux sons de cloche. En ayant sans doute assez entendu, il a déclaré (en Anglais, traduction d'autant plus approximative qu'elle est faite de mémoire) : « je crois que j'ai à présent une idée des deux points de vue ». Puis, s'adressant aux valeureux représentants de la SCTO présents : « sachez que c'est l'attitude la plus stupide que le gouvernement tunisien pouvait adopter. S'il avait laissé parlé la représentante de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, personne n'aurait écouté » (il est vrai que les déclarations de la société civile ne suscitent pas vraiment grand intérêt). Ajoutons que le monde entier aurait alors vanté les pratiques démocratiques de la Tunisie, qui aurait presque pu en devenir « l'autre pays des droits de l'homme », comme la Hollande est - d'après les publicitaires - « l'autre pays du fromage », la réputation des fromages français n'étant plus à faire, et le premier des droits de l'homme étant désormais bien identifié...

- ...et indépendance de sa SCTO

Entendant traiter son gouvernement favori de « stupide », le sang de l'inénarrable Saïda Agrebi (représentant l'Association tunisienne des mères) - qu'elle a chaud - n'a fait qu'un tour. La dame a donc rétorqué (en Anglais aussi) : « si vous avez une opinion, allez la donner aux gouvernements. Nous, nous sommes la société civile ! » Et pas n'importe laquelle : la SCTO, s'il vous plaît... Nul doute qu'une telle vigueur et une telle indépendance d'esprit ne proviennent que d'une longue pratique dans son propre pays avec les représentants de son propre gouvernement. Le malheureux représentant européen s'est éloigné sans demander son reste (on le comprend).

- Habib Achour, ONG multicartes

cette brève est destinée à qui de droit : Habib Achour, l'un des représentants de la SCTO les plus actifs, mérite de longues et reposantes vacances. Il n'a pas ménagé ses efforts en effet, une oreille collée à son téléphone portable toujours en fonctionnement (ce magnifique appareil serait-il doté de fonctions insoupçonnées ? En tous cas on se demande quand il recharge ses batteries), l'autre traînant partout où il pourrait se tenir le moindre propos, soucieux des droits de l'homme au point d'être toujours le premier assis aux meilleures places lors des réunions du Caucus des droits de l'homme pour ne rien perdre de leur substantifique moëlle. Il juge d'ailleurs que le Caucus ne tient pas suffisamment de réunions, mais on le comprend, puisqu'il croit que, par le simple fait qu'il y assiste en observateur il est vrai attentif, cela suffit à le compter parmi les membres du Caucus. L'homme a plusieurs facettes : avocat, président de l'ONG (SCTO) dénommée « Association Tunisienne Pour Les Victimes du Terrorisme », membre d'une autre ONG (SCTO) dénommée « Jeunes médecins sans frontières », membre - suppléant - nommé par le gouvernement tunisien à la sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme du Haut Commissariat des Nations Unies au droits de l'homme jusqu'en 2008, etc. Un véritable homme-orchestre, il faut dire qu'il connaît la musique !

- Mustapha Masmoudi, l'ancien nouvel ordre mondial

L'intérêt de Mustapha Masmoudi pour les techniques de l'information et de la communication (TIC) ne se dément pas. Après son heure de gloire dans les années 70-80 où, en tant que Secrétaire d'État à l'information, il représentait la Tunisie au sein de la Commission MacBride, issue de la revendication d'un Nouvel Ordre Mondial de l'Information et de la Communication (NOMIC), fortement promu par la Tunisie au sein du Mouvement de Non-Alignés puis de l'UNESCO, voila que le SMSI fournit à Mustapha Masmoudi l'occasion de frémir à nouveau, cette fois en tant que représentant de la société civile (SCTO, bien sûr, via l'ATUCOM). Le problème est que Mustapha Masmoudi n'a pas évolué d'un pouce depuis, et continue d'abuser des formules éculées - dont il a peut-être bien été l'auteur à l'époque -, telles que, s'agissant des journalistes, «  la liberté est indissociable de la responsabilité et la responsabilité est inséparable de la liberté », avec une forte tendance à oublier le second terme de cette proposition. Imaginez-vous que les discussions qui ont mené au rapport McBride (et à l'abandon du NOMIC) n'ont pas pris une ride !

- Scoop : il y aurait des revendications autonomistes en Tunisie

Très curieusement, l'une des - quelques - formules qui ont semblé poser grand problème dans la version initiale du texte de la société civile sur les droits de l'homme était contenue dans la phrase suivante : « nous sommes pleinement conscients de l'importance fondamentale de la tenue du SMSI à Tunis, pour les peuples de Tunisie comme de l'ensemble des pays du Sud ». Ce qui a fait sursauter est le pluriel à « peuples ». Ainsi, ce qui n'était au pire qu'une maladresse d'écriture pour englober d'un seul mot les populations de l'ensemble des pays du Sud, y compris le peuple de Tunisie, est devenu révélateur d'un malaise certain. Nous aurait-on caché l'existence de peuples indigènes avec des revendications autonomistes ? Certaines régions voudraient-elles faire sécession ? Voilà un grand mystère.

 

Meryem Marzouki
www.alternatives-citoyennes.sgdg.org
redaction@alternatives-citoyennes.sgdg.org