Alternatives citoyennes
Numéro 9 - 10 juillet 2004
Politique
Élections
À 100 jours des élections : trois Offres Politiques Alternatives

 

La Tunisie est à 100 jours des élections présidentielles et législatives. Au sommet de l'OUA à Addis-Abeba, Kofi Annan lance une petite phrase à méditer par tous les régimes africains dont le nôtre : « Il n'est pas de plus grande sagesse, de marque plus évidente du sens de l'État que de savoir, le moment venu, passer le flambeau à la génération suivante. Et les gouvernements ne devraient pas manipuler ou modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir au-delà des mandats prescrits qu'ils ont acceptés lorsqu'ils ont pris leurs fonctions. N'oublions jamais que les constitutions existent pour servir les intérêts à long terme des sociétés et non les objectifs à court terme des dirigeants. Engageons-nous à faire en sorte que l'époque de l'autocratie ou du monopartisme soit bel et bien révolue ».

La Tunisie qui, selon les déclarations officielles, aurait voulu entraîner les pays arabes réunis au sommet de la Ligue dans un grand mouvement de réformes, ne saurait demeurer elle-même en deçà de cet urgent projet d'autant que les pressions américaines et européennes encouragent dans ce sens où vont également leurs propres intérêts.

Dès lors, à l'approche des échéances électorales, certaines tendances de la société civile et les partis d'opposition, légaux ou non, considèrent qu'une brèche est ouverte pour prendre l'initiative politique et réengager une dynamique démocratique qui d'ordinaire retombe vite.

Pour l'heure, ce sursaut à peine formalisé se fait sous le regard vigilant et jusqu'ici non interventionniste du pouvoir qui de, toutes façons, a placé de fortes balises n'ouvrant qu'un étroit corridor à une expression pluraliste. La révision constitutionnelle accordant au président en exercice une possibilité de briguer un nouveau mandat verrouille davantage les issues exiguës ménagées par la loi électorale à d'autres candidatures à la fonction présidentielle.

La loi sur les partis avait déjà mis hors d'état de nuire légalement des formations politiques ayant un référentiel religieux. Quant à l'ensemble des libertés publiques qui, dans un État de droit, sont au fondement même de l'exercice de la citoyenneté avec, au premier chef, le droit de chacun à choisir ses représentants, on en connaît depuis de nombreuses années l'état de déliquescence.

Aussi, le champ politique apparaît-il comme un système formaté d'avance où la prévisibilité de la sanction des urnes ne mériterait pas une once d'attention. La société tunisienne est d'ailleurs dans un tel état de délitement et parvenue à un tel degré de déréliction que le seul pourcentage qu'il faudra soigneusement étudier, dans ses formes et ses motivations, est le taux d'abstention (à supposer qu'il soit donné avec exactitude).

Tout cela est secret de polichinelle et pourtant quelques petites formations de l'opposition s'entêtent à concourir, pas forcément jusqu'au poteau d'arrivée, mais pour créer le long de la course quelques zones de turbulence.

Trois Offres Politiques Alternatives sont jetées sur ces élections. L'Initiative démocratique qui s'est constituée autour de Et-Tajdid apparaît la plus paradoxale et celle qui se donne comme gageure de jouer à une « Kharbga » que chacun sait obsolète et absurde. Militant de toujours du syndicat, de l'opposition de gauche et des droits de l'homme, Salah Zeghidi, en charge de l'information, la présente aux lecteurs d'Alternatives citoyennes.

Deux autres partis légaux, le Parti Démocratique Progressiste (PDP) de Me. Nejib Chebbi et le Forum Démocratique pour les Libertés et le Rravail (FDLT) du Dr Mustapha Ben Jâafar, se voient par la loi éjectés de la course à la présidence. Leur réaction est pourtant différente.

Ainsi, au PDP on considère que tout citoyen a le droit de se présenter à la charge suprême et, dans cette logique, le PDP encourage les candidatures multiples au moins jusqu'au 9 octobre, date à laquelle l'ouverture officielle de la campagne claquera son dispositif légal sur les doigts des présomptueux et provocateurs contrevenants.

Le candidat du PDP jusqu'à ce jour fatidique est, bien sûr, son président, Me Nejib Chebbi. Au Forum démocratique, on considère que c'est déjà peine perdue et l'on privilégie le boycott actif de l'élection présidentielle viciée dès le départ par la révision constitutionnelle et la loi électorale. Par contre, le Forum associerait volontiers ses forces et celles d'indépendants à celles du PDP pour des listes communes aux élections législatives. Peut-être même le Parti Ouvrier Communiste de Tunisie (POCT) de Hamma Hammami y lancera-t-il sa propre vitalité d'autant que jusqu'ici il se montre plus coopératif que par le passé avec les autres formations légales. Aussi attend-on vraiment la bataille législative. À vrai dire, n'est-ce pas l'horizon privilégié (quoique non mis en avant jusqu'ici) de l'Initiative démocratique autour de Et-Tejdid ?

À 100 jours des élections, les paris se prennent déjà chez des bookmakers des salons de Tunis sur les futurs députés et les prochains dépités. Car, plus qu'en Algérie, la société réelle manifeste une vraie désaffection vis-à-vis de l'ensemble de la classe politique. Mais déjà circulent des noms, des quotas, des parrainages et des associations. Un politicien vedette, qui a le sens de la formule, lance déjà le slogan : Votez bleu (Et-Tejdid) à la présidentielle, mais pas de bleu-bleu aux législatives, donnant ainsi le feu vert au panachage probablement avec des listes indépendantes.

Du côté d'un présidentiable convaincu de pouvoir l'être, le Dr Moncef Marzouki en exil en France diffuse sur Internet un réquisitoire sans appel contre « une mascarade électorale ». Le Dr Marzouki a lancé pour l'occasion un mouvement de « résistance démocratique » où l'on retrouve les noms des quelques membres de son parti (Raouf Ayadi, Sadri Khiari, Om Zyed) et même, du bout de la plume, une grande signature islamiste.

Car c'est là tout le mystère : tous ces irrédentissimes, de Moncef Marzouki à Rached Ghannouchi, savent combien avec le régime de Ben Ali la messe (présidentielle et parlementaire) est à peu près dite ; mais tous ont-ils les mêmes atouts pour reconnaître les arcanes de la Providence ?

 

Nadia Omrane

Précision (12 juillet 2004) :

Sadri Khiari nous prie de préciser qu'il n'est pas membre du CPR. Dont acte. En revanche, l'article ci-dessus ne donne aucunement à croire que l'« Appel de la résistance démocratique au peuple tunisien. Pour le boycott actif des élections du 24 octobre » constitue le lancement d'un nouveau mouvement ou parti politique. Le terme « mouvement » est ici employé très clairement dans le sens d'« action », de « dynamique », ce qui, nous semble-t-il, est bien l'objectif de cet appel. Partageant le souci de Sadri Khiari de ne pas ajouter à la confusion, nous ne pouvions évidemment pas utiliser le terme « initiative » pour qualifier cet appel...

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