Alternatives citoyennes Numéro 1 - 26 avril 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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UGTT : à quand le véritable renouveau ?

 

L'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) et l'ensemble des travailleurs fêtent le 1er mai dans un climat de morosité et de reflux. Au cours des dernières années, s'il est vrai que l'organisation syndicale a sauvegardé l'essentiel de ses structures, il n'en reste pas moins que la présence et l'audience socio-politique du syndicalisme se sont notablement rétrécies. Le constat est dur, mais il est là.

Les derniers développements qui doivent avoir bientôt leur épilogue judiciaire à travers le ou les procès intentés à M. Ismaïl Sahbani, ex-Secrétaire général, ont terni l'image de l'UGTT et de ses dirigeants, et pas seulement celle de M. Sahbani. L'ampleur des manipulations financières attribuées à ce dernier, les éléments de l'information qui ont filtré des travaux de la commission de contrôle, créée par la direction de l'UGTT elle-même, posent d'innombrables questions sur le rapport qu'entretiennent les dirigeants de la centrale syndicale avec l'argent... des adhérents et celui des contribuables, ou plutôt des assurés sociaux, puisque des sommes importantes étaient régulièrement versées par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS) - surtout par la première citée - à l'UGTT. Disons tout de suite que lors de cette dernière crise, totalement focalisée sur la question des détournements de fonds, c'est tout un scénario qui a été mis en place, précisément pour éviter tout « débordement » vers d'autres questions. Disons aussi que la décision de « larguer » Sahbani n'a pas été une décision strictement syndicale, décidée d'une façon autonome par la centrale syndicale. Et c'est le moins qu'on puisse dire.

Ceci dit, revenons à « l'état de l'UGTT » en cet anniversaire international à la gloire du travail et des luttes ouvrières et syndicales. La direction de l'UGTT, qui reste composée de l'exécutif de M. Sahbani, et de cet exécutif dans son intégralité, parle, depuis la mise à l'écart de son Secrétaire général, il y a 7 mois, d'une opération de rectification (« Tasshih ») . En quoi consiste cette rectification ? Rectification de quoi exactement ? La question reste posée, car enfin M. Sahbani n'était pas responsable ou coupable seulement d'avoir détourné les fonds de la centrale ou renvoyé abusivement par-ci par-là tel ou tel syndicaliste qui ne l'arrangeait pas !

Mais quelle UGTT ont donc construit M. Sahbani et ses camarades depuis qu'il a pris en main, en avril 1989 à Sousse, avec l'appui et le soutien du pouvoir, les destinées de la centrale syndicale ? C'est en fin de compte cela l'essentiel ou alors, doit-on dire qu'en réalité la direction de l'UGTT a écarté Sahbani, mais veut assurer pour l'essentiel, la continuité dans le changement (du Secrétaire général et rien de plus) ? Or, sur ces trois questions essentielles, de sérieuses questions se posent quant à la « ligne Sahbani » :

a) La bureaucratisation excessive et infernale du travail syndical à tous les niveaux de la Centrale (exécutif, unions régionales, fédérations et syndicats nationaux). Cette bureaucratisation, dans laquelle les permanents syndicaux ont fini par s'aligner et se confondre avec les employés administratifs de l'UGTT, a fini par transformer des dizaines de dirigeants syndicaux en fonctionnaires soucieux de leurs intérêts matériels et moraux et finissant par faire du zèle en permanence vis-à-vis d'un Secrétaire général agissant, mais aussi perçu comme un patron. La direction actuelle de l'UGTT, après avoir éliminé M. Sahbani, a-t-elle l'intention de briser le système construit par l'ancien Secrétaire Général, ou bien de le faire perdurer ? Disons, dans une première réponse que les derniers congrès d'un certain nombre de structures syndicales importantes, notamment les unions régionales, semblent signifier que l'on conserve « la même clientèle », les mêmes fonctionnaires syndicaux et on continue cahin-caha le même chemin. Quand plusieurs secrétaires généraux d'unions régionales ou de fédérations ou de syndicats nationaux (donc des membres de la Commission administrative de la centrale) se maintiennent à leurs postes pendant 10, 15 ou même 20 ans, il y a quand même problème !

b) L'attitude de la centrale syndicale à l'égard des grandes orientations économiques et sociales qui ont cours depuis une dizaine d'années laisse perplexe. Le libéralisme, le désengagement de l'État, les privatisations, la libéralisation des importations, l'instauration progressive d'une nouvelle législation du travail et des dispositions d'ordre social quant au système de couverture sociale, de retraite, etc., tout cela constitue incontestablement une atteinte aux droits des travailleurs, à la stabilité de l'emploi, aux acquis sociaux, aux acquis syndicaux, etc. La centrale syndicale a jusqu'ici, sous la direction de M. Sahbani et ses compagnons, tenté de « biaiser » entre un alignement total sur les choix gouvernementaux auxquels on rend régulièrement hommage et quelques critiques ponctuelles contre le libéralisme sauvage, contre la mondialisation présentée comme un phénomène quasiment surnaturel contre lequel on ne peut rien. La centrale dit se reconnaître dans les grandes orientations du gouvernement, fixées par le président Ben Ali, présenté même comme l'ami de l'UGTT, le défenseur des travailleurs ! C'est de la schizophrénie : car enfin : la nouvelle législation, réduisant le taux de la retraite, jointe à une augmentation du taux de la cotisation des salariés et une réduction du taux de celle des employeurs ; les nouvelles dispositions du code du travail sur la flexibilité de l'emploi, c'est-à-dire l'extension considérable des contrats à durée déterminée facilitant les licenciements ; la limitation des droits syndicaux à l'intérieur des entreprises ; la nouvelle réglementation portant augmentation des contributions du citoyen, donc du travailleur, aux dépenses de santé etc. ; tout cela ne fait-il pas partie des grands choix du gouvernement du Président Ben Ali ? Après le départ de Sahbani, Jrad et ses amis continueront-ils à biaiser et à faire ainsi du « Sahbanisme » sans Sahbani ?

c) Le positionnement politique de l'UGTT sur la scène tunisienne soulève un troisième problème. Avec M. Sahbani et depuis 1989, la centrale syndicale s'est placée derechef dans le giron du pouvoir et du Président Ben Ali en particulier. C'est un soutien total sans menace qu'apporte depuis 12 ans l'UGTT au chef de l'État et à son pouvoir. Pour ce faire, l'UGTT a abandonné un terrain qui avait fini par devenir l'un des constituants du patrimoine de la centrale : à savoir, le terrain de la défense des libertés, de la démocratie et des droits de l'homme. Bien plus, les rares fois où la centrale s'est prononcée sur ces questions durant les 12 dernières années, c'est lorsqu'elle a cru utile de défendre le gouvernement tunisien quand celui-ci a été l'objet de critiques de la part des institutions ou d'organes de presse étrangers. Rappelons ici, comme illustration, la fameuse lettre envoyée par Sahbani au nom de l'exécutif au président du Parlement européen à Strasbourg en mai 1996. Le journal Ech-Chaab fait le black-out, à l'image des journaux gouvernementaux, sur les informations concernant la répression, les procès, les atteintes aux libertés, sur les activités des associations indépendantes telles que la Ligue tunisienne des droits de l'homme, etc. Par delà tout cela, la direction syndicale, en 1994 et en 1999, a cru bon de s'impliquer dans les élections présidentielles et d'appuyer haut et fort la candidature de Ben Ali, même en 1999 lorsqu'il y avait trois candidats à cette élection, même si les deux concurrents de Ben Ali n'étaient pas des figurants de surcroît, désignés à l'avance par le pouvoir lui-même.

Les choses étant ainsi, n'est-on pas en droit de poser sans fioritures la question suivante : une direction de l'UGTT qui appuie les grandes orientations socio-économiques du gouvernement du président Ben Ali, qui se tait (au mieux) sur l'absence de démocratie, les violations incessantes des libertés individuelles et physiques, les procès iniques, les agressions constantes contre le mouvement associatif, le véritable étouffement dont est victime la liberté de la presse et de l'information, une direction qui se mobilise politiquement et en permanence, notamment au moment des élections, dans le giron du pouvoir politique en place et de son chef, une telle direction avec de tels positionnements, n'est-t-on pas en droit d'interpeller ses membres en ces termes : « qu'avez-vous fait de l'UGTT ? qu'avez-vous fait de l'autonomie de l'UGTT ? qu'avez-vous fait de l'image et du prestige de l'UGTT ? »

 

Salah Zeghidi
Syndicaliste. Tunis.
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