Alternatives citoyennes Numéro 12 - 27 novembre 2004
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Par-delà le simulacre électoral du 24 octobre 2004 (2e partie)
Trois défis, trois risques et six propositions

 

L e rideau est tombé après la mascarade du 24 octobre. Le chef de l'État s'est succédé, comme prévu, à lui-même sur la base du référendum-plébiscite du mois de mai 2002, dont l'illégitimité n'est plus à démonter, le RCD dispose d'une majorité de plus des 2/3 de l'Assemblée nationale taillable et corvéable à merci, avec en rab plus d'une trentaine de supplétifs des quatre partis croupions de l'« opposition » vassalisée. Un remaniement ministériel important a permis d'éliminer sept poids lourds devenus par trop encombrants, consacrant l'irrésistible ascension d'une vague technocratique sans précédent. Le rituel de la séance de prestation du serment du Bardo ne pouvait être, dans ces conditions, que d'une tranquille solennité [1] et le président Ben Ali a ainsi pu exorciser les mauvais esprits en réitérant l'invraisemblable antienne sur la volonté de l'État-RCD de « garantir les libertés et d'asseoir la démocratie » (sic). Cela n'a toutefois pas empêché l'hôte de Carthage de récuser la légitime revendication d'une amnistie générale en faveur des victimes de la répression politique, en déclarant : « je tiens à dire en toute clarté que nous n'avons pas de détenus d'opinion ni de prisonniers politiques et que la vie politique est libre et régie par la Constitution qui interdit toute constitution de parti fondée sur la religion, la race ou la langue » ; cette dernière référence pouvant éventuellement signifier que ne méritent le statut de parti que les formations... muettes. Quid, par ailleurs, des soixante-seize détenus d'Ennahdha - sur un total de plus de cinq cents - mis en liberté conditionnelle quelques jours plus tôt ? Il s'agit sans doute, dans l'esprit de nos gouvernants, de délinquants de droit commun condamnés dans le cadre... de procès politiques iniques (cf. sur cette question notamment le communiqué du Comité pour le respect des libertés et des droits de l'homme en Tunisie, CRLDHT, du 4 novembre 2004).

L'on retiendra aussi les réactions française, européennes et américaine au déroulement des élections du 24 octobre, et le commentaire du CRLDHT affirmant « sa réprobation à l'égard des déclarations de connivence et d'allégeance opportuniste en faveur du gouvernement tunisien émanant de la majorité des États européens, telles qu'elles ont été rendues publiques à Paris et à Bruxelles. Alors que le département d'État américain, dont la politique, en Irak et en Palestine notamment, suscite des condamnations légitimes, a marqué ses distances à l'égard des élections du 24 octobre, les autorités françaises et la Commission européenne ont fait fi de leur côté des engagements pris dans le cadre de la politique d'association et de voisinage de l'Union européenne en matière de respect des droits humains, des principes démocratiques et de l'État de droit » (communiqué du 28 octobre 2004).

Toujours est-il que, face à l'arrogance du RCD plus que jamais marqué par le « syndrome de Carthage » [2], les opposants qui avaient fait le choix d'appeler à un boycott qu'ils voulaient « actif » font le dos rond et ceux qui ont misé sur la candidature-défi de Mohamed Ali Halouani sont tout à la fois choqués par la vendetta électorale du gouvernement et quelque peu euphoriques en raison de l'impact de cette candidature et de la campagne des Bleus, la couleur d'Ettajdid et de l'Initiative démocratique (ID).

Dans la première partie de cet article, publiée sur plusieurs sites et journaux, notamment nouvelobs.com, j'avais évoqué le déroulement de ce scrutin et le débat qu'il a suscité au sein des oppositions tunisiennes. Je voudrais dans cette deuxième partie, que je confie au magazine électronique Alternatives Citoyennes, revenir sur les trois défis évoqués dans la première partie, insister sur ce que je pense être les trois risques majeurs de l'après 24 octobre, et formuler six propositions qui permettraient aux oppositions de capitaliser les acquis - quand il y en a eu - de cette échéance politique sans enjeu électoral, et de rebondir, je l'espère positivement, au lendemain de cette nouvelle épreuve.

Trois défis

  • Tout d'abord les soutiens internationaux du régime tunisien. Tirant profit de l'effet d'aubaine du 11 septembre 2001, de l'attentat 7 mois plus tard de la synagogue de Djerba et des attentats de Madrid impliquant un terroriste tunisien, le pouvoir est parvenu, sous couvert de lutte contre le terrorisme, à bénéficier de la connivence des puissances occidentales. Celles-ci ne sont certes pas insensibles à l'état très préoccupant des droits de l'homme en Tunisie et à la dérive affairiste qui affecte gravement l'économie tunisienne. Mais l'argument de la stabilité et les intérêts géostratégiques leur dictent le choix d'une alliance privilégiée avec un régime dont les tendances totalitaires sont pourtant avérées. Cet appui n'est pas définitivement acquis et des initiatives critiques comme la récente prise de position de la sous-commission des droits de l'homme du Parlement européen peuvent contribuer à infléchir la donne. Selon la sous-commission, en effet, « ce processus mal engagé hypothèque la crédibilité du plan d'action négocié dans le cadre de la politique de voisinage et de l'article 2 de l'accord d'association ».
  • Le second défi est celui de l'évolution de la situation économique et sociale, marquée par les limites et les impasses des choix ultralibéraux imposés à l'économie tunisienne, par le surendettement des ménages (source de craintes et de peurs), par les échéances décisives de 2005-2006 au niveau du secteur manufacturier des textiles et par la privatisation de l'intérêt public, sinon de l'État lui-même, avec la multiplication des passe-droits, de la corruption, des relais et des clientèles privées liées aux plus hautes sphères du pouvoir. La montée du chômage (en particulier celui des jeunes diplômés) et l'érosion vertigineuse du pouvoir d'achat du plus grand nombre engendrent dans ces conditions des tensions sociales de plus en plus vives. La question de l'autonomie d'action de l'organisation syndicale UGTT se pose dès lors avec une acuité accrue, alors même que le pouvoir s'efforce de lui imposer des choix politiques partisans. Ceux-ci suscitent à la base des syndicats une résistance de plus en plus active. Les conditions du ralliement de l'UGTT à la candidature du président Ben Ali et l'écho des thèmes altermondialistes constituent ainsi, sur ces deux questions essentielles, des illustrations significatives de l'évolution des esprits au sein du monde syndical.
  • Le troisième défi concerne la contestation et l'opposition véritables. Pour rebondir au lendemain du simulacre électoral du 24 octobre, celles-ci doivent faire preuve d'audace et de créativité militantes autour de deux questions majeures. Celle de la lutte contre la répression, la torture et la défense des droits humains qui doit se faire sans exclusive, englobant toutes les victimes y compris bien évidemment les islamistes qui comptaient, avant les récentes mesures de « grâce présidentielle », près de 600 détenus d'opinion dont une trentaine en isolement cellulaire depuis douze ans ! La libération des jeunes cybernautes de Zarzis condamnés il y a quelques mois à des verdicts insensés peut et doit être obtenue. Tout comme celle des frères Jalel et Néjib Zoghlami-Ben Brik et leur camarade Lumumba Mohseni en fuite, victimes d'un traquenard et d'une véritable expédition punitive judiciaire et condamnés injustement à 19 mois de prison ferme [3]. N'en déplaise aux irrédentistes d'une « éradication » exclusivement sécuritaire de l'islamisme, la question de l'amnistie générale pour toutes les victimes de la répression, celle de la lutte contre l'impunité (investigations, recherche de la vérité, dédommagements et justice transitionnelle) et le droit à l'organisation politique sans exclusive sont en train de s'imposer comme des références identitaires pour les véritables opposants.
    Il nous faut, dans le même temps - et c'est le second objectif majeur - contribuer, en dépassant les sectarismes et le tout à l'ego envahissant, à la refondation d'un pôle démocratique et progressiste autour d'un projet moderniste et séculier, à la fois réformiste et radical, qui réponde aux aspirations de larges secteurs de l'opinion et de la jeunesse tunisiennes.
    Par-delà le simulacre électoral du 24 octobre et les réactions de dépit et de désespoir qu'il pourrait provoquer, ce nécessaire sursaut unitaire face à la dictature est possible. Ici et maintenant.

Trois risques majeurs

  • Le premier de ces risques, face au bourrage des urnes et au score « soviétique » ou « nord-coréen » attribué au RCD, réside dans l'érosion définitive du crédit des urnes. Si tel devait être le cas, le dérapage pourrait être redoutable. L'inaptitude à la réforme peut en effet receler des dangers d'explosion politique et sociale aux conséquences imprévisibles. À trop tirer sur la corde des élections-plébiscites, on risque fort de ne laisser place qu'aux tentations du changement par la violence, qui ne peuvent profiter qu'aux tenants d'un radicalisme populiste et émeutier. À l'image galvaudée par les médias et les dépliants touristiques d'une « terre de sérénité » où il fait bon rêver, se substituerait alors le cauchemar qu'il nous faut épargner à notre pays. Il y a plus de quatre ans déjà, Noël Copin, médiateur de la chaîne de télévision France 2, écrivait dans le quotidien La Croix au sujet de la politique du gouvernement tunisien : « aujourd'hui l'hypocrisie n'est plus permise. Que les exactions commises ne puissent plus avoir pour prétexte la lutte contre l'islamisme, mais qu'elles servent à maintenir un pouvoir qui se veut absolu, on le sait en haut lieu et on le reconnaît. Mais il est temps de passer du ton de la confidence à celui de la dénonciation ferme et publique ». Depuis, les choses, loin de s'améliorer, n'ont fait hélas qu'empirer.
  • Le deuxième de ces risques concerne les contentieux, les blessures et les stigmates de la confrontation à coups d'imprécations accusatrices entre les quatre principales composantes du pôle de radicalité au sein de l'opposition - PDP, FDTL, PCOT et CPR - d'une part, et d'autre part le parti Ettajdid et l'Initiative démocratique (ID) mise en place autour de la candidature de Mohamed Ali Halouani. Cela appelle les remarques suivantes :
    • Le CPR d'abord ne doit pas considérer la réunion, au lendemain des élections du quartet ci-dessus mentionné, comme procédant d'un pacte exclusif. Il est bon que cette réunion ait eu lieu et qu'un communiqué commun ait scellé ces retrouvailles, mais cela ne signifie pas que ce partenariat exclut tout contact bilatéral avec Ettajdid et avec l'ID. Le PDP, le FDTL et même le PCOT n'ont en tous cas rien à gagner d'une bipolarisation fondée sur l'hostilité et l'invective. Des passerelles doivent être rétablies d'urgence pour favoriser la reprise d'un dialogue indispensable.
    • Le FDTL a pris l'initiative positive d'appeler à une réunion d'évaluation des élections le vendredi 12 novembre. Le débat qui s'y est déroulé a été intéressant malgré quelques dérapages, et l'idée de la tenue d'Assises nationales pour la transition démocratique préconisée par le PDP et le FDTL y a progressé, sans pour autant apparaître comme une confiscation par rapport à la proposition d'une Conférence nationale démocratique avancée naguère par le CNLT puis le CPR. Il est dommage dans ces conditions que des considérations protocolaires et de susceptibilités sur la forme de l'invitation n'aient pas permis de réunir l'ensemble des composantes de l'opposition, et en particulier le tandem Ettajdid-ID.
    • Du côté d'Ettajdid et de l'ID, l'amertume suscitée par la vendetta électorale est compensée par le constat encourageant que cette campagne a brisé des tabous et qu'elle a permis d'enclencher un indéniable intérêt au sein des classes moyennes et dans les grands centres urbains. Ce constat d'un frémissement significatif doit être raisonnablement maîtrisé. Nous sommes loin en effet d'une lame de fond. Il s'agit plutôt d'une modeste vague porteuse dans le sens du courant, et c'est déjà beaucoup. Les excès d'autosatisfaction et l'usage de formules comme El Nasr, la victoire, dans le communiqué du 6 novembre surprennent. Il faudrait savoir raison garder pour mieux valoriser les acquis, et pas seulement en termes de spéculations aléatoires sur les 500 ou 600 000 voix qu'aurait recueillies l'ID selon un des ses animateurs, d'habitude, et par conscience professionnelle, plus raisonnable sur les projections quantitatives.

  • Le troisième risque est relatif au débat sur la façon dont il convient de mettre à profit les acquis positifs de « la campagne du deuxième semestre 2004 ». Le candidat Mohamed Ali Halouani, dans sa sereine et ferme modestie, a répondu lors d'un débat à la Fête de l'Humanité à Paris qu'il était plutôt « rose pâle ». En réalité, les listes d'Ettajdid-ID étaient d'un bleu composite. On y trouvait du bleu pâle (démocrates et progressistes indépendants), du bleu (Ettajdid actuel et anciens de cette formation en rupture de ban, et pour qui cette campagne a constitué positivement une fenêtre d'opportunité pour renouer avec « Le Parti ») et bleu foncé (les tenants d'un communisme orthodoxe mâtiné d'un choix ultralaïque et farouchement éradicateur à l'égard de l'islam politique sous toutes ses formes). Les tensions lors de la désignation des têtes de listes aux élections législatives ont procédé - en grande partie de façon explicite ou implicite - de considérations relatives à cette composition. Aujourd'hui, le risque est réel de voir une bonne partie des Bleus et l'ensemble des Bleus foncés monter les enchères pour capitaliser les acquis de la campagne au profit du seul renforcement du « Parti » alors que l'essentiel, me semble-t-il, est de mettre à profit les acquis pour favoriser les conditions d'émergence et de consolidation d'un pôle démocratique et progressiste pluriel et ouvert.

Six propositions

C'est sur la base de ces constats et de ces appréciations que je voudrais présenter en style télégraphique les six propositions suivantes :

  1. Tous les efforts doivent se conjuguer pour favoriser les conditions propices à la mise sur les rails d'un processus permettant de donner corps et vie au projet de la tenue d'Assises nationales pour la transition démocratique. Cela suppose de multiplier les passerelles et lubrifier au mieux que l'on peut les relations entre les composantes du quintet - CPR, Ettajdid, FDTL, PDP et PCOT (dans l'ordre alphabétique) - et les indépendants, ceux de l'ID et les autres, ces relations étant marquées par le choc des égos et par l'anthropophagie des groupes minorisants et minoritaires. La volonté de dialogue, le respect des partenaires, la mise en sourdine des surenchères et d'une radicalité verbale stérile sont autant de conditions pour réussir ce pari qui n'a rien à voir avec la recherche systématique des consensus de façade.
  2. Sur le front de l'information écrite - support papier et Internet - il faut multiplier les initiatives en imposant quand cela est possible des titres, et en menant campagne de façon déterminée pour exiger du ministère de l'Intérieur qu'il mette un terme aux abus de pouvoir concernant la réception des demandes et l'octroi des visas. La multiplication de ces initiatives doit se conjuguer avec une stratégie d'accompagnement et de pressions efficaces, de façon pacifique mais résolue et déterminée.
  3. Au niveau de la réflexion et de l'analyse sur les questions économiques et sociales, il faut remettre en cause le monopole exercé par le pouvoir, qui bloque l'accès aux sources d'information et qui a beau jeu ensuite de se gausser sur l'incapacité des oppositions à intervenir sur le terrain des propositions relatives aux questions économiques et sociales. La mise en place, sous l'égide d'un ou de plusieurs partis légaux, d'un Forum économique et social - Tunisie 2015 ne procède pas d'une douce utopie. Il peut constituer un creuset indispensable pour le pôle démocratique et progressiste, étant bien entendu que le volet économique et social inclut bien sūr la question de la lutte pour la bonne gouvernance et contre la corruption.
  4. Toutes ces initiatives devraient s'inscrire dans un contexte de développement de pratiques institutionnelles et citoyennes rénovées. Le changement politique institutionnel n'est pas seulement affaire de positions ponctuelles à caractère protestataire. Il faut se doter d'une capacité de proposition qui remette en cause non seulement les carcans arbitraires qui nous sont imposés, mais aussi la façon de penser et de vivre le politique et non la « boulitique ». Dans Le guépard, le roman de Guiseppe Tomasi Di Lampedusa, le jeune Tancrède ne préconise-t-il pas que « si nous voulons que tout continue, il faut d'abord que tout change. Est-ce clair ? » ?
  5. Dans ce combat à mener au quotidien, le soutien aux associations autonomes, composantes de la société civile, bâillonnées ou non reconnues par le pouvoir, constitue un volet essentiel. La question de l'autonomie doit être érigée en priorité absolue. Autonomie par rapport au pouvoir d'État et à ses « courroies de transmission », mais aussi autonomie de décision par rapport à toutes les formations politiques. L'enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on, et l'intérêt des partis politiques pour les associations doit être raisonnablement pondéré car, selon l'adage populaire, « qui trop embrasse, mal étreint ». Cela a valeur de réflexion critique et autocritique. C'est dans ce contexte qu'il convient de lancer le débat sur la nécessité pour les partis candidats à la constitution ou au renforcement du pôle démocratique et progressiste d'intégrer effectivement en paroles et en actes la dimension des droits humains, celle du genre et des droits des femmes à une égalité réelle et celle de la sécularisation de l'école et du droit, notamment en matière de statut personnel, dans leurs analyses et leurs actions au quotidien.
  6. Enfin, deux thèmes me paraissent devoir être pris à bras le corps par l'ensemble des oppositions politiques et du champ associatif. Ces deux thèmes nécessitent des formes d'action qui doivent faire appel à l'audace et à la créativité. Les pétitions de principe et les moyens routiniers traditionnels ne sont pas les seules formes d'action légale. Il faut emprunter aux mouvements de la dissidence dans les pays totalitaires des formes d'intervention et de contestation non violentes, efficaces et visibles pour l'opinion la plus large, que l'on aide ainsi à dépasser les réflexes de la peur. Les deux thèmes concernent, d'une part la liberté de l'information et la levée de l'emprise gouvernementale pesant sur les médias audiovisuels, et d'autre part la lutte pour l'indépendance de la justice et pour une amnistie générale pour toutes les victimes de la répression politique en Tunisie. Le combat pour les libertés est à ce prix. Et la tentation est grande, de ce point de vue, de rappeler cette belle conclusion de Juan Goytisolo, le grand écrivain espagnol, dans un article intitulé Retour à Tunis et publié dans Le Monde du mardi 18 janvier 2000 : « Au crépuscule, sur les ficus qui bordent l'avenue Bourguiba et les places adjacentes que j'observe depuis ma chambre de l'Hôtel Africa, des dizaines de milliers d'oiseaux décrivent lignes et points vite effacés : spirales, tournoiements, triangles mobiles, d'une beauté si éblouissante qu'on les dirait inspirés par Calder. Le sculpteur serait lui-même interdit devant tant de mouvements et de combinaisons sous le ciel splendide de Tunis. Je ne pouvais m'arracher à cet enchantement, perdu que j'étais dans la contemplation de ce flot de formes mouvantes, dessinées par la main invisible de l'artiste. C'était peut-être à ces créatures libres que, dans leur cage plus ou moins dorée, rêvaient les Tunisiennes et les Tunisiens, paresseusement assis à la terrasse des cafés ».

« I have a dream » clamait Martin Luther King, et ces propositions pourraient paraître comme procédant d'un optimisme béat et volontariste. En réalité, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. À l'image du personnage d'Emile Habibi, surnommé par l'auteur le pepsimiste, c'est-à-dire l'optimiste-pessimiste, je pense qu'il n'y a pas lieu ni de verser dans l'euphorie, ni de céder à la désespérance et à la résignation. Nous sommes repartis, contraints et forcés, pour un bail de cinq ans. Donnons-nous les moyens, dès à présent, de commencer à préparer la prochaine échéance pour que celle-ci ne soit pas un marché de dupes et qu'elle nous permette de remettre en cause, à travers une vraie bataille politique de terrain, les fondements du système despotique qui nous est imposé.

Notes

[1] Cette séance a été précédée la veille par une « première » lors de La journée parlementaire des élus du RCD. Pour la première vice-présidence de l'Assemblée, Afif Chiboub - frère de Slim Chiboub - a proposé de se succéder à lui-même à ce poste. Levée de boucliers du clan rival. Le RCD décide alors de procéder à une « primaire » entre Afif Chiboub et le candidat sponsorisé en haut lieu, Hechmi Amri. Une « primaire » à bulletins secrets qui a consacré la victoire de... Afif Chiboub. Ambiance !

[2] Ce fut le titre, on s'en souvient, de l'article publié par le journaliste Ryadh Ben Fadhel dans le quotidien français Le Monde le 20 mai 2000, quelques jours avant l'attentat dont il a fait l'objet à Tunis.

[3] L'admirable Ahlem Bel Haj épouse de Jalel, mère de deux enfants et présidente de l'ATFD, a été elle aussi victime de ces représailles. D'abord en raison de la répression contre son mari et sa belle-famille. Ensuite en se voyant éliminée arbitrairement du concours d'agrégation de médecine, alors qu'elle est ébranlée par les conséquences d'une grave maladie.

 

Khemaïs Chammari
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