Alternatives citoyennes Numéro 16 - 15 juin 2005
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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L'islamisme, obscurantisme ou théologie de la libération

 

L a mort du pape eut l'avantage de remettre à l'ordre du jour la théologie de la libération contre laquelle il pontifia.

Dans les régions mahométanes, le thème de « l'islam politique » renvoie l'écho à cette vexion paradigmatique. La mondialisation de l'impérialisme US planétarise le rejet de l'unilatéralité. Mais cet autre dialogue des religions n'alimente guère les colloques mondains. Pour cette raison, les thèses erronées du sectarisme soit disant progressiste incitent à une reprise de l'examen critique. La règle de la méthode mise en oeuvre dans l'analyse du champ religieux porte sur la façon dont les croyances ont à voir avec la structure et l'histoire sociales. Une levée de boucliers contre la défense de l'IVG, la boucherie de la Saint-Barthélemy ou le rejet de l'occupation sarrasine ont à voir avec l'efficacité symbolique de la conviction biblique. Cette multiplicité suggère la complexité le plus souvent occultée dans les joutes partisanes. L'islamisme serait, pour les uns, l'affectation du terrorisme au service de l'obscurantisme et il inspire, pour les autres, la juste révolution contre l'alliance de la croisade avec les rapports internationaux d'inégalité. Ce dialogue de sourds entre bien-entendants origine le succès de notions aussi suspectes que celle de « l'islam politique » à l'heure même où les gardiens du temple chrétien magnifient la contribution papale à la débâcle de l'Union soviétique. En Tunisie, fut reproché au « Mouvement de la Tendance Islamique » (MTI, devenu Ennahdha) son inféodation de la foi coranique à la mobilisation politique ; mais, aujourd'hui, les prêches du vendredi attestent le mélange des genres dénoncé, auparavant, chez l'adversaire.

Les prises de position, ainsi engagées, tournent autour du pot. Chaque protagoniste accuse l'autre de ne pas voir le monde à travers les mêmes catégories de pensée.

Tel est le dénominateur commun aux ennemis jurés. Mais le profane et le sacré sont incommensurables. Ils n'admettent aucune jauge bivalente. Gens du livre et démocrates réduisent toutes les gargotes à des auberges espagnoles. Tous deux opèrent par déviation de sens et ils font mine de le trouver, tout fait, telle une marguerite cueillie dans le pré. Mais pour inventer Abou Ghraib et Guantanamo, il faut un être de langage. Un chien auquel serait proposé de violer ou de torturer aurait répliqué : « Je ne suis pas un homme ».

L'absence de sens conditionne la donation de sens, puisque nul ne possède un nom à sa naissance. Ce manque radical taraude nos manières de certitudes. Voilà pourquoi demeure toujours à redécouvrir ce que parler veut dire. Comment remettre en question, chez le pape, l'inadmissible par l'homme non religieux ? Pour celui-ci, le sens donné, par le mourant, au refus de la démission illustre l'indistinction de la personne et de la fonction, disposition réprouvée dans la conception démocratique des systèmes d'autorité. Mais perçue à travers les verres de lunettes religieuses, la souffrance cramponnée à la position hiérarchique médiatise le calvaire du christ crucifié. La fin du souverain pontife et celle de Franco se renvoient l'écho ; voilà ce que jamais le tenant de la foi n'admettra. À certains, la ténacité papale rappelle un texte fameux. Cependant, quand Vigny écrit «  La mort du loup », il ne décrit pas ; il fantasme, tant le genre littéraire maximalise le droit de l'auteur à l'erreur. Le loup n'a aucune partie liée avec le stoïcisme, il est loup. Le poète applique des attributs glanés ailleurs.

À propos de « l'islam politique », les chiens de garde abusent du même procédé. Mais pour fonder une étiquette, la coller ne suffit pas. Haro sur l'islamisme ; il nie les droits de l'homme.

Du côté de chez Saddam, la démocratie à odeur de pétrole convoité provoque l'explosion des voitures piégées par Zarkaoui. À ce propos, les caniches des coalisés rejettent l'épreuve du miroir dans la poubelle de l'histoire. Sur ce thème de l'anathème lié au texte séparé de son contexte, abonde une littérature nauséabonde. Le fin mot de cette inconséquence conduit les simples d'esprit à prendre les tenants de l'athéisme pour « les alliés objectifs » de l'islamisme. Que Dieu leur pardonne ! Mais par-delà le constat, le souci de vérité ne vaut pas une heure de jeûne sans la prise de risque citoyenne. Entre la stagnation d'une légitime contestation et l'acceptation des lapidations, reste l'option de ne choisir ni le point de vue impérialiste, ni l'ethos de la main coupée. La réduction de l'islamisme à l'obscurantisme renoue avec les thèses du primitivisme ethno-colonial. Pour sauver les ânes des peuples sans écriture, le roi de France assignait aux gouverneurs de provinces de « civiliser les sauvages ». Premier prédateur de la terre, sous l'ozone troué, le grand pétrolier demeure fidèle au devoir de mémoire. Hors de la représentation, rien n'existe.

Un cadavre est froid deux fois, celle de la température et celle de l'effroi.

 

Khelil Zamiti
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