Alternatives citoyennes Numéro 4 - 8 octobre 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Euromed
Partenariat euro-méditerranéen :
le Forum Civil Euromed de Bruxelles marquera-t-il un nouvel élan ?

 

Les 19 et 20 octobre 2001 se tiendra à Bruxelles le Forum Civil Euromed, expression des sociétés civiles des deux rives de la Méditerranée. Il précédera ainsi de trois semaines la réunion euro-méditerranéenne des ministres des Affaires Étrangères, programmée pour les 5 et 6 novembre 2001. Ces deux rencontres ont pour objectif de faire progresser le Partenariat Euro-Méditerranéen (PEM) tel qu'il avait été solennellement énoncé dans la Déclaration de Barcelone, adoptée par les vingt-sept pays concernés (les quinze de l'Union Européenne et douze pays riverains de la Méditerranée) en novembre 1995.

Ce sera l'occasion de vérifier si, après le constat général de « panne du processus » fait l'année dernière au Sommet de Marseille [cf. Alternatives citoyennes numéro 3, NDLR], le tournant - ou la « refondation du processus » - est réellement engagé.

Pour le Forum Civil, les ambitions s'articulent autour de six objectifs majeurs : oeuvrer au débat public sur les enjeux de la coopération régionale, donner toute sa place au volet social, culturel et humain du partenariat, contribuer à dénouer les situations de conflits, redéfinir les politiques migratoires et, enfin, développer le dialogue entre les cultures.

L'accord d'association signé avec l'Union européenne n'a pas fait l'objet de réels débats publics en Tunisie et les études d'impact qui ont été réalisées ont même été gardées confidentielles. Situation bien banale, pourrait-on dire. Mais ce « déficit démocratique », cette absence des sociétés civiles sont aussi la marque, à des degrés divers, de tous les pays impliqués dans ce Partenariat. C'est pourquoi le Forum Civil de Bruxelles entend oeuvrer à combler ce «  déficit ».

Le partenariat euro-méditerranéen comporte trois volets :

- la définition d'un espace commun de paix et de stabilité (volet politique et de sécurité) ;
- la construction d'une zone de prospérité partagée avec l'instauration progressive d'une zone de libre-échange à l'horizon 2010 (volet économique et financier) ;
- le rapprochement entre les peuples (volet social, humain et culturel).

Si tout le processus a bel et bien tourné au ralenti, c'est plus particulièrement le dernier volet qui a été sacrifié.

Sur le plan des droits humains, il ne se passe pas de jour sans que les États signataires, notamment ceux du Sud, ne violent les libertés fondamentales de leurs citoyens et sans que les associations et autres organisations représentatives des sociétés civiles ne soient réprimées, bâillonnées.

La région méditerranéenne est une région de grande tension : celle-ci est liée à l'existence, encore de nos jours, d'un État colonialiste. Un État qui a été fondé sur la terreur et l'expropriation d'un Peuple ; le Peuple palestinien qui compte aujourd'hui, selon l'ONU, le plus grand nombre de réfugiés à travers le monde : plus de trois millions et demi de personnes. Un État qui continue, de nos jours, à tenir sous son joug toute une population ; la soumettant à un état de siège, la coupant de ses sources d'approvisionnement fondamentales et de ses débouchés, la livrant à la misère et à la détresse, détruisant ses maisons, ses champs d'oliviers et de blé, ses usines et son infrastructure économique ; un État qui tue de sang-froid des enfants, qui est le seul au monde à pratiquer ouvertement et « légalement » la torture à grande échelle, un État qui tire sur les ambulances, empêche les blessés, les malades et les femmes enceintes de rejoindre les hôpitaux et les centres de soins, un État qui s'acharne désormais à détruire tous les signes et les symboles de l'Autorité Palestinienne qu'il avait lui-même reconnue, un État dont la volonté est l'humiliation de toute une population et ne lui laisse que le désespoir comme perspective.

Un État froidement assassin, un État d'apartheid occupe notre région. Il méprise et défie ouvertement le droit international, les résolutions de l'ONU et la conscience universelle.

Et il continuera de le faire tant que se poursuivra la résistance du Peuple palestinien, ce petit Peuple martyr, mais combien fier et digne !

Israël menace la sécurité de la Méditerranée et celle du monde.

Le Projet euro-méditerranéen de fonder une zone de paix, de stabilité, de prospérité partagée sera un leurre tant qu'Israël n'est pas mis hors d'état de nuire.

Les organisateurs du Forum de Bruxelles ont fait clairement savoir qu'ils « refusent l'attitude d'équidistance défendue par l'Europe officielle car, dans la lutte contre l'oppression, l'injustice, le colonialisme et l'exclusion, il ne saurait y avoir une quelconque neutralité » et « qu'ils attendent de l'Europe qu'elle mette en oeuvre les sanctions économiques et juridiques qui s'imposent dans le cadre des traités et conventions qui lient les membres de l'Union à l'État d'Israël ».

 La problématique des politiques migratoires qui a prévalu jusqu'ici est prisonnière de la logique sécuritaire.

La rencontre de Bruxelles entend développer une autre vision considérant les migrations comme pouvant également constituer une richesse. Elle examinera si des avancées ont été réalisées depuis le Forum de Marseille et fera des propositions concernant :

- la révision de la politique migratoire tant au Nord qu'au Sud en ce qui concerne notamment la libre circulation des personnes ;
- le respect des droits fondamentaux des migrants dits « irréguliers » ;
- la citoyenneté tenant dûment compte des richesses socio-économiques et culturelles des migrations ;
- les migrants, comme partenaires privilégiés et acteurs du partenariat Euromed.

En matière de financement, la situation du secteur culturel est bien triste : les programmes Med (Med-Campus, Med-Media, Med-Urbs, Med-Invest), lancés en 1992 et présentés comme un exemple de coopération décentralisée sont suspendus depuis janvier 1996. Les micro-projets, considérés comme le dispositif le plus adapté au secteur culturel en Méditerranée, ont été, pour leur part, brutalement et définitivement arrêtés. En un mot, le secteur culturel ne dispose plus d'aucun financement dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen et les professionnels doivent s'adresser à des sources réservées aux Européens, mais quelque peu ouvertes à de possibles coopérations bilatérales. La reconnaissance par la Déclaration de Barcelone que le « dialogue entre les cultures » est au coeur du Partenariat n'est plus que rhétorique.

Un réseau Euromed des cultures a été créé à Marseille ; la rencontre de Bruxelles sera l'occasion de le consolider et de l'élargir ainsi que de permettre l'émergence de projets concrets dans les domaines considérés comme prioritaires (les sciences humaines, les arts vivants, le livre et la traduction, les moyens d'information dont l'internet, la télévision et l'audiovisuel).

Cependant, au-delà des déclarations d'intention, il s'agit aussi de mettre en place les mécanismes d'évaluation et de suivi qui permettraient de donner un sens concret à ces recommandations et de vérifier la réalité de leur mise en oeuvre.

La suite qui sera donnée aux recommandations de ce Forum par la réunion euro-méditerranéenne des ministres des Affaires Étrangères des 5 et 6 novembre 2001 donnera une claire indication quant à la volonté des États de la région, et plus particulièrement de ceux de l'Union européenne, de redonner au Partenariat le souffle dont il a tant besoin.

 

Mahmoud Ben Romdhane
Professeur d'Économie à l'université de Tunis.
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