Alternatives citoyennes Numéro 10 - 15 septembre 2004
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Berlusconi chez Kadhafi
Il cavaliere et son guide

 

En marquant au mausolée d'Al-Gardaia en Libye, le 25 août, la commémoration de la bataille italo-libyque de 1915, le leader de Forza Italia faisait-il un pied de nez à son voisin transalpin, le président français qui quelques jours plus tôt à Toulon commémorait le débarquement allié contre l'axe ?

Le calendrier s'effeuille au gré de la mémoire de chacun. Mais, ce soir-là, le président du Conseil italien avait bien d'autres soucis en tête pour avoir précipitamment quitté sa résidence estivale de Sardaigne afin de s'envoler vers Syrte après un déjeuner de travail avec son ministre de l'Intérieur, Giuseppe Pisanu, et que la veille 276 émigrants clandestins de plus, palestiniens pour l'essentiel, embarqués sur une chaloupe de 20 mètres de long, s'échouaient sur l'île de Lampedusa avant de s'entasser dans un camp de rétention prévu pour moins de 200 personnes et ayant déjà fait le plein.

Trop, ç'en était trop pour Silvio Berlusconi qui depuis de longs mois subit la pression xénophobe de ses amis de la Ligue du Nord (extrême-droite) l'appelant à fermer les frontières à la forêt de « têtes laineuses », remontées d'Afrique et surgies de Libye. Car Moammar l'Africain, paré de son boubou, leur ouvre sans visa son pays et, profitant de cette immigration « menaçante » pour l'Europe de quelques 2 millions de désespérés, en fait, avec le talent qu'on lui connaît, un moyen de chantage sur l'Europe.

L'Allemagne, victime d'un attentat libyen contre une boîte de nuit, reste opposée à toute suspension de l'embargo européen contre la Libye. L'Italie y est plus favorable et Silvio Berlusconi a offert à Moammar Kadhafi une solution intermédiaire : des patrouilles communes italo-libyennes arpenteront les quelques 2000 km de côte d'où partent les clandestins. Toute une technologie de surveillance sera mise à leur disposition, contournement indirect de l'embargo contre la Libye. De plus, des tentes et des préfabriqués construiront sur place des camps de rétention en terre libyenne que les ONG des droits de l'homme baptisent déjà camps de concentration. À quelques kilomètres de la Tunisie, comment les Tunisiens apprécieront-ils cette masse de miséreux faméliques, au milieu desquels pourraient s'être glissés quelques incendiaires ? Déjà, à Sfax, la population, portée à un légendaire repli sur soi, est exaspérée d'une présence africaine de « gueux » et de « barbares ». Une fois passé le « seuil de tolérance », le racisme, tapi, émerge.

Enfin, Kadhafi se fait promettre par Berlusconi la construction d'une route le long de la côte, de l'Égypte à la Tunisie. Cette voie express peut ouvrir l'extension d'une riviera californienne qui dans 20 ans pourrait se déployer d'Alexandrie à Djerba.

Déjà, pour des « raisons humanitaires », les Américains ouvrent à partir de la Libye jusqu'au Darfour une piste pour convois lourds, une percée vers le centre de l'Afrique.

Dès lors, comment ne pas accorder crédit à l'accusation de manipulation du drame de l'émigration clandestine par le pouvoir libyen. Cette affaire est tout bénéfice pour lui, d'autant que l'Europe songe même à délocaliser sur la rive sud de la Méditerranée sa délivrance de droits d'asile !

Qui donc, d'Il cavaliere ou du Guide, mène l'autre ? De plus, le colonel Kadhafi répare une vieille blessure. Tandis qu'il était en disgrâce auprès de l'Europe, n'est-ce pas à partir de l'Angleterre que la Jamaâ islamiya al-mouqatila, protégée par les services de renseignements britanniques, tenta d'assassiner en 1996 le chef de l'État libyen ? Celui-ci fit rechercher le premier par Interpol Oussama Ben Laden et son bras droit Anès le Libyen (cf. La vérité interdite de Jean-Charles Brisard, paru aux éditions Denoël en 2001).

Aujourd'hui, c'est celui qui fit pendre en place publique quelques islamistes qui prête désormais main forte à une traque des terroristes dans le Sahel africain et qui fournit quelques renseignements utiles aux Européens.

Le chef des services secrets libyens, Moussa Kussa, est aussi l'artisan de la réconciliation de la Libye avec les USA et la Grande-Bretagne. Depuis plus d'un an, Tony Blair, Silvio Berlusconi et William Burns, sous-secrétaire d'État américain pour le Proche-Orient, ainsi que des cohortes de diplomates, se retrouvent en Libye. Car, en dehors de la lutte contre le terrorisme, le pétrole que l'État libyen va mettre ce mois de septembre aux enchères intéresse au premier chef l'Europe et les USA, d'autant qu'il est de bonne qualité et d'extraction facile. Avant que Berlusconi ne s'y rende ce 25 août, Tony Blair était son invité en Sardaigne. La Libye s'offre comme une plaque tournante de la lutte contre le terrorisme islamiste, mais ce sont de ses côtes que sont probablement partis pendant des mois de redoutables terroristes travestis en malheureux clandestins.

« Gardez chez vous ces Africains, terroristes ou les pauvres hères qui le deviendront aussi, et nous vous fournirons la logistique pour les contenir » semble dire Berlusconi à Kadhafi, appelé désormais à faire le nettoyage chez lui.

 

C. Fourati
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