Alternatives citoyennes Numéro 2 - 31 mai 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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Tribune
À propos du Pape en Syrie

 

Les médias des pays arabes et musulmans ont salué avec enthousiasme le passage à Damas et à Kouneitra, ainsi que les déclarations du Pape en faveur de la paix, au cours de son récent séjour en Syrie. Est-ce parce que ses propos allaient dans leur sens ? Le disciple de Jésus que je suis regarde ces activités avec un oeil différent.

Mon premier souci est de savoir si l'évêque de Rome, successeur de l'apôtre Pierre à ce siège, se comporte conformément au message de l'Évangile. On l'appelle « serviteur des serviteurs de Dieu », mais, reçu comme chef d'État, il traîne avec lui une meute de journalistes et oblige ses hôtes à déployer des mesures de sécurité et à préparer des endroits où il puisse se reposer : tout cela coûte très cher. Certains pays pauvres, certaines Églises s'endettent longtemps pour le recevoir.

Normalement, quand le Pape visite un pays, il est invité par la hiérarchie catholique. Ce principe a connu deux exceptions : la Tunisie et la Grèce. Demande-t-on leur avis aux populations des pays concernés ? Quand le Pape a passé quelques heures en Tunisie, en avril 1996, tout s'est décidé entre le président de la République tunisienne et l'évêque de Tunis. Ni le peuple tunisien, ni les Catholiques vivant dans le pays n'ont été consultés. De ce fait, ce genre de voyage est immédiatement récupéré par les dirigeants du pays hôte. Ce fut exactement le cas d'Al-Assad et du Grand mufti de Damas. Mais le Cardinal Sfeir, patriarche des Maronites, a refusé de se déplacer de Beyrouth, pour protester contre la présence des 35 000 soldats syriens qui occupent encore le Liban. Les médias locaux reçoivent l'ordre de filtrer les messages envoyés à l'occasion par le Pape : par exemple, en Tunisie, ils n'ont pas mentionné les appels du Pape en faveur de la justice sociale et de la liberté de conscience.

Quel sens peuvent avoir ces grands déploiements de population pour l'avenir de la croyance ? Les shows télévisés, les rassemblements d'une foule de jeunes ont-ils une répercussion sur l'existence des participants ? Si la vie, spirituelle et sociale, des fidèles n'est pas changée, à quoi cela sert-il ? Ou alors on doit en chercher d'autres significations. Sans oublier qu'il ne faut pas se faire de grandes illusions : quand le Pape a visité le Maroc en 1985, on s'est extasié sur la présence de 50 000 jeunes Musulmans dans le stade de Casablanca venus pour l'entendre. Or il s'agissait de militaires que le roi avait habillés en civil et qui étaient là en service commandé !

Peut-être me dira-t-on que ce qui précède est un problème de forme. Admettons. J'en reviens alors au fond des discours du Pape. Et je répète ma question : ses interventions reflètent-elles le message de l'Évangile ?

Dans ses deux discours aux jeunes Chrétiens et aux responsables de la rencontre oecuménique, certainement. Pour ce qui concerne les relations entre l'Église catholique et les Musulmans, je suis heureux de ce que dit le Pape. Depuis ses premiers mots à Ankara, dès 1979, jusqu'à présent, il suit la même ligne de respect bienveillant et de partage de la foi au Dieu unique. Au moment de la guerre du Golfe, seul l'ambassadeur du Vatican est resté jusqu'au bout à Baghdad pour rendre service à tous ceux qui avaient besoin de son aide. Mais voulant se maintenir à son poste, malgré sa maladie et son grand âge, le Pape permet aux fonctionnaires traditionalistes du Vatican de reprendre du poil de la bête : ainsi, l'an dernier, ils ont publié sur l'islam un texte, inadmissible pour ma conscience et n'allant pas dans le sens du Pape. En outre, si j'écoute les prises de position du Pape sur la morale sexuelle, sur le mariage des prêtres ou sur l'ordination des femmes au sacerdoce, je suis obligé de constater que c'est le discours d'un Catholique polonais. Et puisque je parle de sa nationalité, il est clair aussi que ses prises de position politiques face au communisme dans sa région ont eu un rôle réel sur les changements qui s'y sont produits. Ses nombreuses demandes de pardon montrent également une humilité qui vient en droite ligne de celle de Jésus et je les approuve de tout coeur.

Revenons à son séjour à Damas. Ce que les Maghrébins oublient, c'est que les mosquées du Moyen-Orient sont ouvertes aux chrétiens, comme elles l'étaient d'ailleurs en Tunisie jusqu'en 1965... En soi, un prêtre allant dans la mosquée des Omeyyades ne signifie rien : je l'ai fait de nombreuses fois. Reste que pour le Pape, c'est différent. La portée symbolique de ce geste est importante. On a trouvé le prétexte qu'il voulait honorer la tombe du cousin de Jésus, Jean-Baptiste, le Yahyâ du Coran. Ce dernier a été décapité dans le palais d'Hérode, au sud de la Palestine, vers l'an 30 de notre ère. Sa tête serait-elle vraiment à Damas ?

Voire ! Mais s'il fallait cette légende pour que le Pape puisse poser un geste significatif de partage de la foi avec les Musulmans, pourquoi pas ? La rencontre d'un pape avec des responsables religieux musulmans peut décompresser une atmosphère bien lourde. Peut-être eut-il souhaité rencontrer un personnage moins officiel que le Grand mufti ? Les religions, en Palestine, n'ont pas toujours un rôle pacificateur. On peut même se demander s'il ne faudrait pas, tout simplement, fermer les Lieux Saints pour faciliter la solution du problème de Jérusalem. Sait-on, par exemple, que les Chrétiens se disputent tellement entre eux pour l'église de la Résurrection de Jésus que les clés en sont confiées depuis un siècle à un Musulman ? Il n'y a pas de quoi pavoiser.

Pour les Chrétiens de Syrie, ce passage du Pape revêt une signification qu'il ne faut pas occulter. Comme minoritaires, ils se sentent dans une situation d'infériorité. La visite du Pape à la mosquée peut sembler, aux yeux de certains d'entre eux, une manifestation de faiblesse. Mais pour la majorité des autres, elle montre qu'ils ne sont pas seuls : une personnalité étrangère reconnue, de dimension internationale, vient les voir et les encourager : « Tenez bon ».

Alors, me serait-il encore permis de rêver ? Peut-on imaginer le successeur de Jean-Paul II tenir les mêmes propos, effectuer les mêmes voyages, mais comme un vrai pèlerin, humble et modeste, sans le tralala des discours officiels et des rencontres compassées, même si je sais que, depuis les débuts de l'Église, ont toujours existé ce décorum et cette pompe. Son rayonnement en serait-il diminué pour autant ? Je ne le pense pas, bien au contraire. Peut-on deviner des signes qui montrent que le Pape essaie de rompre avec ces démonstrations de masse et de force ? J'ai cru en déceler deux indices : d'abord, alors qu'il connaissait parfaitement le contenu du discours qui serait tenu par les Grecs, il les a laissés parler et il les a écoutés, humblement ; en outre, toujours en connaissance de cause, il a entendu s'exprimer le président Assad, alors que les propos de ce dernier ne correspondaient pas à la signification qu'il voulait donner à son voyage.

Vous pouvez le constater, je suis un idéaliste invétéré. Je ne crois pas beaucoup au dialogue des religions ; en revanche, je crois au dialogue des croyants, grâce à la vie partagée avec l'autre au quotidien. Pour reprendre les paroles mêmes du Pape à Damas : « Dieu aime tous les hommes et il les convie à constituer une seule famille dans la charité, car ils sont tous frères ! »

 

Jean Fontaine
Tunis.
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