Alternatives citoyennes Numéro 5 - 23 novembre 2001
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Sommaire

Éditorial

Actualité

Brèves

Dossier

Démocratie

Syndicalisme

Économie

Société

International
- Afghanistan
- Palestine

Culture

Partager

Éditorial
« Assez, ça suffit, y en a marre ! »

 

Il y a 12 ans, le magazine indépendant, aujourd'hui disparu, Le Maghreb, zébrait sa couverture de ce titre, sans grande recherche stylistique mais aussi sans détour : « Assez, ça suffit, y en a marre ! ». En des temps alors bien plus tolérants qu'aujourd'hui en matière de liberté de presse, l'équipe du Maghreb explosait pourtant contre les retenues, les ronds de langue et les plumes feutrées que déjà l'ancien Secrétariat d'État à l'information leur imposait.

Cette administration a depuis disparu, mais la censure pyramidale dont chacun identifie le sommet perdure, diffuse, multiforme, contradictoire et versatile. Dans cette presse considérée par des instances internationales comme l'une des plus muselées au monde, il faut reconnaître parfois quelques brèches, mais sitôt empruntées, elles se cimentent dans le béton de la pensée unique, euphorique, d'autosatisfaction, agressive envers tous les empêcheurs de tourner en ron-ron, et plus souvent bête que méchante.

Alors, l'information et la réflexion se captent ailleurs, sur des chaînes étrangères qui, pour être elles-mêmes parfois instruments de propagande, n'en descendent pas pour autant jusqu'à un tel degré d'abêtissement unanimiste.

« Assez, ça suffit, y en a marre ! » et de lassitude comme de dégoût, nous trouvons notre repli sur Internet. Pompiers pyromanes, ce sont les pouvoirs publics eux-mêmes qui ont allumé la passion de ce formidable réseau d'échanges et de communication.

Après différentes initiatives positives dont l'accès à « l'ordinateur familial », la baisse progressive des tarifs de connexions et d'abonnement au réseau, l'ouverture de nombreux cyberespaces et publinets, ainsi que la mise sur le web de services administratifs (jusqu'à la télédéclaration fiscale), enfin de premières expériences de commerce électronique, voilà que l'année 2001 est déclarée par le chef de l'État comme année de la culture numérique.

C'est la jeunesse avide qui surtout en profite. Lycées, collèges, facultés sont branchés et un réseau edu-net se propose d'apporter un « plus » à l'enseignement. Le tele-learning est à la mode, de chez nous bien sûr. Car quelques innovations très gadgétisées se font plutôt pour la vitrine, telles l'envoi de fleurs, de gâteaux ou de cartes postales ainsi que certaines inscriptions universitaires par Internet et payés en e-dinars. Toutefois, la mèche est amorcée : que la lumière soit !

Dans le même temps pourtant, les censeurs débranchent, coupent les lignes, verrouillent les connexions, assiègent quelques boîtes électroniques. Tandis que trois jeunes ingénieurs s'établissent en nouveaux fournisseurs d'accès, contre le monopole des deux premiers proches du palais, l'ATI assure le contrôle centralisé des paquets de messages que les providers lui acheminent, sans engager leur responsabilité sur leur arrivée à bon port. Dès lors, chacun accuse l'ATI des messages non parvenus, des coupures intempestives et de toute une série de bizarreries.

Ainsi, outre l'interdiction d'accès aux « sites prohibés » ainsi que l'énonce (sans en donner la liste !) un affichage obligatoire dans les publinets, voilà que les serveurs de courrier électronique se mettent à perdre la boussole : blocage régulier de la page courrier de Yahoo!, message intermittent annonçant le vidage des boîtes sur Altavista, perturbations sur Voila ; quant à Hotmail, Multimania, Caramail, Netcourrier, ils sont absolument inaccessibles.

L'ATI se défend et l'on veut bien croire son équipe d'ingénieurs candides qu'elle n'est pour rien dans ces « anomalies ». « Allez donc chercher plus haut » là où, dit-on, l'acquisition d'une très haute technologie coupe ainsi tous les proxies, ceux-là même qui permettaient de surfer sur le Net prohibé.

Dans le même temps pourtant, en ce début novembre, c'est la fête d'Internet et ce message passe en boucle : « Internet c'est pour vous, c'est pour nous, c'est pour la Tunisie de demain ». Le 7 novembre, le président de la République réaffirmait « l'inviolabilité des communications » et «  la garantie des données personnelles », qui sont déjà en partie et le seront bien davantage, des droits constitutionnels. Mais alors, qui dans l'intendance ne suit pas ? Qui maintient ces archaïsmes obscurantistes nuisant à l'image de notre pays ? Qui prend ses citoyens pour des débiles ? Qui nous pousse à ce sursaut explosif : « Assez, ça suffit, y en a marre ! » ?

 

La rédaction
www.alternatives-citoyennes.sgdg.org  ~ redaction@alternatives-citoyennes.sgdg.org